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3 questions à

Temps de lecture : 1 min

14/04/2021

Pierre LE ROY

Un énarque au service de l’agriculture

1/ Le Président de la République vient de proposer de supprimer l’ENA ou du moins de l’intégrer dans un nouvel Institut du Service Public. Qu’en pense un ancien élève de cette École si contestée ?

Cela ne me gêne pas que l’ENA soit intégrée dans un ensemble plus vaste, bien que la marque « ENA », au même titre que Normale Sup et Polytechnique, soit sans doute plus appréciée dans le monde qu’en France, et qu’il soit donc dommage de s’en priver. Les circonstances de cette suppression sont liées à la révolte des Gilets Jaunes, j’espère que ce n’est que le début d’une réforme plus vaste. Notre Président s’y est engagé ; j’attends avec impatience et un peu de scepticisme que les bonnes mesures soient prises.

Il faut dire d’abord que, concernant le manque de « démocratisation » du recrutement, qui est le premier reproche fait à l’ENA, notre pays a un problème bien plus général qui est celui de l’égalité des chances. Si on veut améliorer la situation dans ce domaine, il faut commencer par le commencement, c’est à dire par un plan concernant les enfants de moins de dix ans : classes systématiquement dédoublées et pas de devoirs ni de leçons à la maison, pour éviter que les conditions familiales avantagent les uns et désavantagent les autres. Ce type de mesure commence à exister, mais il faut les généraliser au moins dans le primaire.

Concernant l’ENA, et notamment la démocratisation du recrutement, le problème est social, mais aussi régional. Son recrutement fait penser que les « provinciaux » comme moi sont plus « bêtes » que les Parisiens. Pour résoudre ce problème, il conviendrait d’instituer en province deux ou trois instituts de préparation qui puissent rivaliser avec sciences-Po. Il faudrait ensuite réformer les carrières en veillant à ce que la voie royale des grands corps ne soit pourvue que par un système proche de l’école de guerre des militaires, les hautes fonctions étant proposées après un parcours en confrontation avec différentes réalités ; j’espère que c’est ce que décidera le gouvernement.

 

2/ En matière de politique agricole, L’ENA est un bouc émissaire habituel pour son supposé éloignement des réalités, comme souvent Bruxelles. C’est toujours « la faute des autres » quand il faut réformer ?

Je ne sais si ce travers existe autant dans les autres pays, mais il faut avouer que le nôtre est particulièrement touché par cette maladie : c’est effectivement toujours la faute des autres, qui sont un jour les fonctionnaires et l’ENA, qui sont le lendemain Bruxelles et ses « technocrates », puis la mondialisation… Cela dénote un manque de responsabilité généralisé, incarné par des mouvements sociaux qu’il est cependant impossible d’ignorer puisqu’ils sont malheureusement assez représentatifs dans notre pays.

Concernant Bruxelles, notamment dans le domaine agricole, il est facile de fustiger ses « technocrates », mais il faut savoir qu’ils ne sont que des « proposants » et des exécutants : les décisions sont prises par les autorités politiques, c’est à dire par les conseils des ministres et des chefs d’Etat, avec un droit de veto dans le domaine fiscal, ce qui entraîne des distorsions de concurrence très dommageables. Je serais favorable pour ma part à une accentuation des pouvoirs politiques, économiques, sociaux et financiers (notamment fiscaux) de l’Union Européenne.

Cela dit, les « technocrates » peuvent revendiquer leur part de la réussite globale de la PAC.

Quant aux fonctionnaires, le rejet qu’ils provoquent parfois dans notre pays peut se comprendre : il provient surtout d’un excès de règlementation, mais aussi par le fait que nous voulons être toujours en France « plus verts que verts » quand il s’agit de légiférer sur l’écologie et sur l’environnement. Il est vrai aussi que notre fonction publique, avec l’emploi garanti à vie, est certainement pléthorique : dans beaucoup de pays désormais, le statut de fonctionnaire ne s’applique qu’aux emplois régaliens. Dans tous les autres domaines, il existe des conventions collectives protectrices, mais sans emploi garanti à vie. Et que dire de l’empilement des structures, depuis les communes jusqu’à l’Europe, avec au moins un ou deux échelons inutiles, voire nuisibles parce que générateurs de coûts et de complications pour les usagers ? Je comprends donc qu’il existe une certaine rancœur à l’égard des emplois publics, mais, lorsque survient une grande crise sanitaire, on les redécouvre et on les applaudit à juste titre.

Quant aux énarques, ils souffrent surtout de la morgue incarnée par certains, mais il faut savoir que 99 % d’entre eux sont totalement inconnus, comme moi, et n’ont d’autre souci que celui du service public et du travail bien fait, à l’image de la majorité de nos concitoyens. Souvent, on leur reproche également de « pantoufler » dans le secteur privé, comme je l’ai fait quand j’ai compris que, après les élections de 1981, je n’avais plus aucun espoir de retrouver un poste de responsabilité au Ministère de l’agriculture.  Mais comment reprocher aux énarques leur éloignement des réalités et les obliger en même temps à passer toute leur vie dans l’administration, et souvent en outre dans une administration parisienne ?

 

3/ L’ascenseur social a fonctionné puisqu’un « fils de ploucs »* a fait l’ENA, est-ce toujours vrai aujourd’hui ?

Nous revenons au problème de l’égalité des chances : les inégalités de recrutement, sociales et régionales, sont aujourd’hui toujours aussi criantes, à l’ENA comme dans les autres grandes écoles.

Concernant l’ENA, il faut savoir pourtant qu’un tiers des élèves de chaque promotion sont d’anciens fonctionnaires qui ont bénéficié d’un ou de deux ans de formation, avec maintien de leur salaire, pour préparer le concours de l’ENA. C’est une formule peu connue mais qui existe depuis 1945 et qu’il n’est pas question, j’espère, d’abandonner.

Pour le reste, je confirme qu’il a été difficile, pour un fils de ploucs comme moi, de combler les nombreux handicaps que j’avais au départ. A vrai dire, je n’y suis jamais arrivé, mais cela ne m’a pas empêché d’avoir un parcours professionnel intéressant que je ne regrette pas, puisqu’il m’a permis d’être constamment au service du monde agricole dont je suis issu. C’est la raison pour laquelle mon livre n’est pas seulement un plaidoyer pour l’égalité des chances ; c’est aussi un témoignage de fidélité à mes origines modestes, agricoles et bretonnes, d’où la dernière phrase de mon ouvrage : « né fils de ploucs, heureux de l’être resté, fils de ploucs je mourrai ».

 

* « Un fils de ploucs chez les énarques » Pierre Le Roy


Publication en auto-édition, février 2021.
Disponible sur Amazon en version papier ou numérique.