1er forum Vox Demeter
« S’autoriser à se sentir légitime » : la clé pour plus de mixité en agriculture

Agricultrice dans un tracteur
« Il y a de moins en moins de femmes en grandes cultures dans mon secteur, malgré les équipements facilitant le travail », déplore Sébastien Neveux, producteur dans l'Yonne. « En élevage, maraîchage, arboriculture, viticulture, elles sont présentes. Si par le passé, la filière avait laissé aux femmes la place qu'elles méritent, ce serait peut-être différent. Dans certaines fermes, l'arrêt de leur activité a entraîné celui de l'atelier élevage. Un appauvrissement pour les exploitations. » (©Jean-Philippe WALLET, W Production // Adobe Stock)

"Mixité du monde agricole : quels engagements pour quelles ambitions ?" : tel était le thème du 1er forum Vox Déméter, où étaient invitées plusieurs femmes du secteur de l’agriculture – Naida Drif, haute fonctionnaire à l’égalité des droits au ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, Clémentine Comer, sociologue à l’Inrae, Audrey Bourolleau, fondatrice d’Hectar, Anne-Cécile Suzanne, polycultrice-éleveuse de vaches allaitantes et consultante, Aurélie Bertin, viticultrice et présidente de femmes de vin – mais aussi un homme, Jérôme Calleau, président de la coopérative Cavac et du groupe coopératif InVivo.

Forum Vox Demeter 2023
La plénière "Mixité du monde agricole : quels engagements pour quelles ambitions ?" a entraîné de riches échanges. (© Terre-net Média)
25 à 30 % de cheffes d’exploitation/9 % d’agricultrices au CA des coops,
une injustice !

L’objectif était de formuler des propositions pour « #Bouger les lignes », qui seront consignées dans un livre blanc afin de favoriser la féminisation du milieu agricole, sur le plan numérique et surtout de la représentativité. Car c’est là que le bas blesse : il y a 25 à 30 % de cheffes d’exploitation et seulement 9 % d’agricultrices dans les conseils d’administration de coops. C’est d’ailleurs ce qui a surpris Jérôme Calleau, habitué à être entouré de femmes sur sa ferme, lorsqu’il est entré au CA de la Cavac. « Lorsque j’ai pris la présidence, une seule agricultrice y siégeait », se souvient-il jugeant cette faible représentation « injuste » puisqu’elles dirigent un quart des entreprises agricoles.

Mélanger pas juxtaposer hommes et femmes

Rappelons que l’égalité hommes/femmes est une "grande cause » du 2e quinquennat d’Emmanuel Macron, avec un travail prévu pour le secteur agricole. Le ministère de l’agriculture a d’ailleurs obtenu la double labellisation égalité/diversité. « La mixité en agriculture est un acquis, agir pour que les femmes soient plus présentes fait consensus, mais cette présence plus forte doit s’accompagner d’un réel mélange avec leurs homologues masculins, et ne pas se limiter à une juxtaposition de ces deux populations », pointe en introduction des débats Clémentine Comer. La sociologue de l’Inrae rappelle que la mixité implique des droits identiques mais aussi une vraie égalité des chances de réussite.

Les hommes, une communauté de soutien.

« Elle ne vise pas seulement l’augmentation des performances de l’entreprise grâce à la diversification des compétences et des visions », appuie-t-elle. « Les mesures, seules, ne peuvent suffire. Les hommes doivent être une véritable communauté de soutien. Ils doivent autant se mobiliser pour accueillir les femmes dans la sphère agricole que celles-ci pour l’intégrer », ajoute Clémentine Comer qui exhorte à la « prudence » vis-à-vis des domaines d’activité qui se féminisent et peuvent « perdre de leur prestige, avec une baisse de la rémunération ».

Communiquer autour de modèles féminins de succès

L’enjeu est multiple. Social d’abord en lien avec le renouvellement des générations agricoles et la nécessité de renforcer l’attractivité des métiers de l’agriculture. Pour cela, il faut donner une image plus positive du secteur et mettre davantage en avant des modèles féminins de succès. « Du Salon de l’agriculture, qui draine 600 000 à 700 000 visiteurs, on retient la dureté de cette profession, qui se plaint du manque de revenu, de la surcharge de travail, de l’accumulation de normes… comment attirer des jeunes, et notamment des femmes, dans ces conditions ? », interroge Audrey Bourolleau. En matière de communication, la profession a eu une prise de conscience, ses pratiques et ses messages ont évolué, répondent les intervenants, agricultrices et agriculteur.

La maternité, principal frein à l’installation.

« La rémunération trop basse reste un sujet prégnant, sur lequel il faut agir », martèle Anne-Cécile Suzanne, qui appelle à en chercher pour lever un autre frein, spécifique celui-ci à l’installation des jeunes agricultrices : la difficulté à se faire remplacer pendant le congé maternité malgré l’existance du service de remplacement. Comme dans l’agriculture en général, celui-ci est confronté à une pénurie de main-d’œuvre. Il ne parvient pas à satisfaire toutes les demandes des futures et jeunes mamans, et privilégie parfois celles de personnes seules accidentées ou gravement malades. « Il faudrait pouvoir avoir quelqu’un tard le soir, la nuit et le week-end, complète Anne-Cécile qui a dû gérer des vêlages enceinte depuis plusieurs mois. D’autant « qu’en cas d’accident du travail, les agricultrices en congé de maternitén’ont pas de protection sociale ! », alerte-t-elle.

Promouvoir le métier d’agricultrice à l’école

Revenant sur la promotion du métier d’agricultrice, Aurélie Bertin insiste : « Nous devons montrer, aux jeunes dans les écoles, que cette profession est accessible aux femmes, qu’elles y réussissent et qu’elles ne sont pas seules, des réseaux féminins et mixtes peuvent les accompagner. » Comme Femmes de vin, qui fédère plusieurs associations de viticultrices liées chacune à un vignoble, mais aussi les groupes d’agricultrices de certaines chambres d’agriculture ("Agriculture au Féminin : Bretagne », etc.), Civam (Les Elles de l’Adage, Les Brind’Elles de l’Adar…), syndicats (commissions ou sections), coopératives (cf. Les Elles de la coop dont Muriel Penon est porte-parole ou Les Bottées à l’initiative de Lucie Mainard, voir plus loin dans l’article, deux des agricultrices de ce collectif ayant ensuite intégré les instances décisionnelles de la Cavac)… Autant de lieux d’échange sur des problématiques professionnelles, personnelles, spécifiques et non-spécifiques aux femmes, et de moments conviviaux pour donner confiance et avancer sur son exploitation et au-delà.

Dans l’enseignement agricole : 45 % de filles,
mais des filières encore genrées.

En parallèle de la réflexion pour « faire évoluer le regard sur l’enseignement agricole», une étude sociologique a été réalisée, en 2022, sur la faible mixité de certaines voies tels que les services à la personne ou les professions équines, ou à l’inverse les agroéquipements, alors que depuis plusieurs années les cursus agricoles accueillent 45 % de filles. « Un plan d’actions est prévu, à la rentrée 2024, pour sensibiliser les élèves, les parents, les équipes éducatives et encadrantes, les conseillers d’orientation, les CIO et lutter contre les filières genrées », informe Naida Drif. Pourquoi pas créer une chaire dédiée à l’École supérieure des agricultures d’Angers, pour mobiliser différents acteurs autour des difficultés rencontrées par les femmes en agriculture et des solutions à mettre en place, propose l’un des représentants de l’Esa assistant aux débats.

Forum Vox Demeter
Parmi les temps forts du forum : la table ronde "Performances des collectifs : quid du rôle des femmes" (© Terre-net Média)

Aller chercher, encourager, former, accompagner pour qu’elles prennent confiance

Si communiquer est certes important pour augmenter le nombre de femmes dans le secteur agricole, leur représentation professionnelle demande à être renforcée, comme l’a spécifié Jérôme Calleau en ouverture. Et puisqu’elles ne prennent souvent pas d’elles-mêmes des responsabilités, le président de la Cavac n’hésite pas à « être proactif » et à aller les chercher, comme il l’a fait avec Lucie Mainard, connue sur les réseaux sociaux sous le nom Les Jolies Rousses. Fraîchement installée, son mari lui a laissé sa place et elle est entrée au comité de section puis au CA de la coopérative.

Reconnaissante qu’on lui ait « tendu la main », preuve qu’on la « sentait légitime », elle vante l’accueil qu’elle a reçu et la bienveillance grâce à laquelle elle peut « apprendre et progresser ». « Les hommes se demandent moins que nous s’ils ont la valeur, la compétence pour », fait valoir Natacha Guillemet, responsable de la section agricultrices de la Coordination rurale, s’étonnant au passage d’entendre régulièrement la redondance "femme agricultrice » alors qu’on ne dit pas « homme agriculteur ».

Ai-je la valeur, la compétence pour ? Les hommes se le demandent moins.

« Les agricultrices doivent s’autoriser à être responsables professionnelles, il faut les y encourager, puis les former et leur fournir les outils dont elles ont besoin pour exercer cette fonction et avoir les codes, par exemple, de fonctionnement d’instances majoritairement masculine », ajoute Audrey Bourolleau évoquant la formation Farm’her organisée par Hectar. « On ne s’interroge pas sur la légitimité des femmes à élever les enfants, fait observer Ingrid Bianchi, formatrice, exhortant les agricultrices à prendre confiance en elles et à s’affirmer.

Des adaptations organisationnelles sont également à réfléchir, au niveau des jours et heures de réunion notamment pour ne pas compliquer la vie de famille. Ces dernières répondent d’ailleurs aux aspirations de la nouvelle génération d’agriculteurs, des femmes comme des hommes. Une organisation vie pro/vie perso satisfaisante « ne peut qu’avoir un impact positif sur les performances de l’entreprise », pointe Aurélie Bertin. Autrement dit pour être efficace, il faut être bien dans ses bottes et dans sa tête, au boulot et chez soi.

Des profils moins classiques, une plus grande sensibilité aux transitions

« Quand on s’engage, on le ne fait pas à moitié, ni seulement pour un titre ! », intervient Aurélie Bertin. Si on a régulièrement demandé au début à Anne-Cécile Suzanne "où le patron ? », Jérôme Calleau n’a lui jamais observé de difficulté d’acceptation au sein du conseil d’administration de la Cavac. Quand il est devenu président, il a constaté que « la seule administratrice bénéficiait d’une écoute différente, parce qu’elle apportait une autre vision et une autre façon de communiquer ».

Les agricultrices ont en effet parfois des profils moins classiques, avec des expériences professionnelles et une formation pas toujours agricolo-agricole. Anne-Cécile Suzanne en est l’illustration : elle a étudié à Sciences Po et exerce une activité de consultante, certes majoritairement dans l’agroalimentaire, parallèlement à son métier d’agricultrice. « Les objectifs poursuivis sont les mêmes, mais la sensibilité pour les mettre en œuvre diffère. Un facteur clé de succès qui accroît les résultats économiques », poursuit le président de la Cavac.

Quand on s’engage, on ne le fait pas à moitié !

Aurélie Bertin considère d’ailleurs que les réflexions environnementales (changement climatique en particulier) et sociales au sein de son entreprise viticole, et les diverses labellisations qui en découlent, se font souvent sous l’impulsion des femmes, dont l’effectif augmente à tous les postes y compris à la production et dans les caves. « Comprendre comment les femmes contribuent aux transitions et au renouvellement des générations en agriculture est l’un des axes de travail de notre mouvement associatif », appuie Emmanuelle Coratti, déléguée générale de Back to Earth.

Les transitions agricoles sont fréquemment portées par les femmes, fait remarquer Edouard Bergeon, réalisateur du film Au nom de la terre, invité surprise du forum pour annoncer la sortie de son nouveau documentaire Les femmes de la Terre pour le Salon de l’agriculture, dans lequel témoignent plusieurs générations d’agricultrices parmi lesquelles Jeannette Gros, ex-présidente de la MSA, Anne-Cécile Suzanne et Lucie Mainard.

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