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Temps de lecture : 3 min

05/09/2025

Comment le baby crack va redessiner nos assiettes et nos champs

La chute de la natalité française, phénomène structurel dont les prémices avaient déjà été observés au début des années 2010, a connu une soudaine accélération ces dernières années jusqu’à en devenir une information de premier plan et qui inquiète jusqu’aux pouvoirs publics.

En 2024, le solde démographique – c’est-à-dire la différence entre le nombre de naissances et le nombre de décès – étant encore tout juste positif à + 17 000 individus. Le croisement des courbes de natalité et de décès s’est finalement confirmé dès cette année : entre janvier et juin 2025, le nombre cumulé de décès est devenu supérieur au nombre de naissances, avec un déficit de -13 659 (source : données INSEE). En 2025, la proportion de la population française ayant plus de 65 ans (21,8 %) sera quasiment équivalente à celle ayant moins de 20 ans (22,9 %), quand cet écart était de quasiment 10 points en 2005.

Dans une note[1] publiée par le Haut-Commissariat au Plan au début du mois de septembre 2025, l’économiste Maxime Sbaihi met en avant à travers un travail de projections statistiques les impacts potentiels de la vague de dénatalité qui frappera la France, notamment sur les orientations de politiques publiques. Dépeuplement des classes des établissements scolaires et d’enseignements supérieurs, déséquilibre croissant de la structure du marché du travail entre actifs et inactifs et baisse de population en âge de travailler, raréfaction de la main d’œuvre disponible… Autant d’impacts majeurs qui vont remettre en question la structure même de l’économie française, mais aussi celle de l’action des pouvoirs publics.

Cela touche bien entendu à la sempiternelle question de l’équilibre du système des retraites en matière de finance publique, mais cela questionnera également l’éducation avec le recalibrage des effectifs d’enseignants, la santé avec les besoins croissants liés au vieillissement de la population, ou le travail avec le besoin de mettre en place des politiques migratoires actives pour couvrir les besoins en main d’œuvre.

Mais de nombreuses conséquences sont également à envisager pour le secteur agricole et alimentaire. En amont au niveau de la production, l’emploi dans les deux secteurs souffre déjà d’un manque d’actif considérable. En 2025, sur les plus de 200 000 offres de postes proposés dans les exploitations agricoles et les industries alimentaires, près de la moitié ne trouve pas preneur et c’est une tendance déjà observable depuis plusieurs années (source : données Pôle Emploi). Et cette situation est devenue structurelle malgré les dispositifs mis en place pour fluidifier l’insertion sur le marché de l’emploi agricole ou l’appel à de la main d’œuvre – notamment immigrée et pour le travail saisonnier – et pour essayer de renforcer l’attractivité de l’emploi dans l’agriculture et l’agroalimentaire.

En aval au stade de la consommation, c’est aussi un profond changement de paradigme qui s’amorce. L’inversion de la pyramide des âges, la réduction de la taille moyenne des ménages (3,2 individus contre 2,9 individus en l’espace de 20 ans) caractérisé notamment par la forte hausse de ménages monoparentaux et la proportion de personnes vivant seuls (20 % de la population contre 13 % au début des années 2000) changent drastiquement la nature de l’alimentation que les acteurs de la chaîne de valeur doivent produire.

Des formats et des packagings plus petits et individualisés, aliments complémentés pour répondre à des besoins nutritionnels de populations naturellement carencées, baisse du poids de la restauration collective scolaire dans les débouchés mais hausse des circuits à destination des séniors… Autant d’adaptations sur le plan qualitatif qui vont entraîner une profonde réorganisation des business plans des entreprises sur le long terme.

D’un point de vue quantitatif, dans un contexte où la déconsommation alimentaire à domicile continue son chemin tandis que la consommation hors domicile, certes continue de s’accroître, mais fait aussi face à de nouvelles mutations pour répondre aux exigences prix des consommateurs face à l’inflation, la baisse de la démographie est naturellement corrélée à la baisse du nombre de bouches à nourrir.

C’est donc aussi une profonde remise en question de la raison d’être du monde agricole : comment justifier de continuer à produire autant dans un pays où les estomacs sont moins nombreux, et alors que la recherche de parts de marché à l’exportation nécessite une compétitivité économique qui apparaît très dégradée pour nos producteurs, d’autant plus face à une concurrence exacerbée dans un commerce international instable ?

Des choix cornéliens vont devoir s’effectuer dans les prochaines années pour les opérateurs agricoles et agroalimentaires : Produire mieux et d’autres produits pour mieux répondre aux attentes exigées par cette nouvelle structure nationale de la pyramide des âges, redéfinir ses circuits de distribution, chercher et fidéliser les salariés de demain… autant de questionnements à se poser dès à présent dans la matrice stratégique des entreprises pour ne pas être emportées dans cette vague qui n’a jamais été aussi proche.

 


[1] Maxime Sbaihi, Des écoles au marché du travail : la marée descendante de la dénatalité, La collection du Plan, Septembre 2025, n°5.