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22/09/2025

Opportunités des règles de concurrence pour l’agriculture

La formation des prix des produits agricoles intervient dans des conditions très éloignées de ce que dit la théorie économique des marchés en situation de concurrence pure et parfaite. En France, 390 000 entreprises agricoles commercialisent la majeure partie de leurs productions auprès d’au moins 17 600 entreprises de l’agroalimentaire et de 9 enseignes de la grande distribution regroupées dans 4 centrales d’achat. Par ailleurs, localement, de nombreux agriculteurs ne trouvent de débouchés qu’auprès d’un acheteur, ou d’un petit nombre d’entre eux, respectivement en situation de monopsone ou d’oligopsone selon la science économique.

L’Observatoire de Formation des Prix et des Marges (OFPM) a publié le 25 juillet dernier son 14ème rapport analysant pour les années 2023 et 2024 les évolutions des prix et des marges au long des chaines alimentaires de 10 filières portant sur 33 produits. Depuis sa création, l’OFPM constate la faible part de la valeur ajoutée de l’agriculture dans les dépenses alimentaires des français. Les résultats disponibles de l’EURO alimentaire pour 2019 et 2020 (les années suivantes ne sont pas renseignées) font état respectivement d’une part de la production agricole de 12,8€ (2019) et 13,7€ (2020) pour 100€ de dépenses alimentaires et de 6,4€ (2019) et 6,8€ (2020) pour la valeur ajoutée agricole. Les situations sont très contrastées selon les filières et les produits, mais l’asymétrie des pouvoirs de négociation continuent de jouer en défaveur des entreprises agricoles.

Pour remédier à ces structures déséquilibrées de marché, les lois Egalim ont apporté des contributions avec en particulier la construction « du prix en avant » et la sanctuarisation de la matière agricole dans la chaine de la transformation et de la distribution. Néanmoins, hormis quelques exceptions, ces dispositions législatives peinent à établir des conditions plus équitables de marché. La recherche de solutions nationales a fait perdre de vue les possibilités de la législation européenne en matière d’exceptions aux règles de la concurrence.

Dans un article publié en juillet dernier par la Competition Policy International Chronicle, Philippe Chauve, chef d’unité à la Direction de la Concurrence de la Commission européenne, et Jitka Diouha ont exploré les opportunités offertes par les règles applicables au secteur agricole. Après avoir rappelé les objectifs antagonistes de l’article 39 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) concernant le juste revenu des agriculteurs et le prix raisonnable de l’alimentation pour les consommateurs, les auteurs se réfèrent aux dispositions du TFUE  (article 42) qui ont permis d’adopter la réglementation de l’Organisation Commune des Marchés (OCM) spécifique au secteur agricole qui précise que l’ensemble des règles générales de la concurrence (articles 101 à 106 du TFUE) s’appliquent « sauf disposition contraire ». Et c’est ainsi que 7 exclusions d’application de la législation ont été mises en place pour doter le secteur agricole d’un meilleur pouvoir de négociation, tant en ce qui concerne les achats de consommations intermédiaires que la commercialisation des produits :

  • l’exclusion générale (article 209 de l’OCM) qui depuis les années 60 autorise les accords entre agriculteurs qui travaillent en commun aux différents stades de la production, du stockage, de la transformation et de la commercialisation ;
  • l’exclusion relative aux Organisations de Producteurs (OP) sous forme coopérative ou non, qui selon l’article 152 de l’OCM autorise de s’entendre sur les prix et les quantités produites, à condition que les OP négocient au nom de leurs membres, et sous réserve que les autorités nationales de la concurrence n’objectent pas au nom de comportements contraires aux objectifs de la PAC ;
  • l’exclusion relative aux produits porteurs de signes de qualité (article 166a de l’OCM) tels que les « appellations d’origine contrôlée » (AOC) et les « indications géographiques protégées » (IGP), qui autorise les accords sur les quantités produites ;
  • l’exclusion relative aux interprofessions reconnues par les États membres, qui autorise le partage d’informations sur les marchés et l’utilisation d’indicateurs de référence sur les données agrégées de prix et de quantités ;
  • l’exclusion applicable à certains produits tels que le vin (articles 167 et 172b de l’OCM), l’huile d’olive (article 167a), le sucre (article 125) et les produits laitiers (article 149), pour lesquels sont autorisés la gestion quantitative, les accords collectifs et la partage des orientations en matière de prix ;
  • l’exclusion relative aux situations de crise, notamment en cas de surproduction, qui autorise les producteurs à des ententes dérogatoires de la réglementation de la concurrence pour rééquilibrer le marché, comme cela a été le cas à deux reprises (crise laitière de 2015-2016 et pour certains produits lors de la pandémie Covid-19) ;
  • l’exclusion de durabilité (article 219a de l’OCM) qui autorise les agriculteurs et d’autres acteurs des filières agroalimentaires de s’entendre sur des cahiers des charges plus exigeants que la réglementation en conduisant des actions collectives, y compris relatives à des éléments de prix pour couvrir les coûts et les risques de la production.

A partir de cette revue des mesures dérogatoires à la législation de la concurrence, les auteurs déplorent qu’elles ne soient pas pleinement utilisées par les agriculteurs européens, en particulier pour ce qui concerne les Organisations de Producteurs qui offrent des possibilités de meilleure maitrise des coûts et des conditions de commercialisation. Même si certaines dispositions sont mises à profit par l’agriculture française, un état des lieux de leur utilisation pourrait se révéler utile avant d’entamer tout nouvel exercice législatif sur le sujet du rééquilibrage des relations commerciales.