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3 questions à

Temps de lecture : 5 min

24/08/2018

Eddy Fougier

Fin analyste des mouvements contestataires et altermondialistes, sentant monter la thématique de l’agribashing* depuis quelques années (notamment suite à la diffusion de vidéos de l’association L214 et d’une émission de Cash Investigation sur les pesticides en février 2016) Eddy Fougier a rédigé cet été 2018 un Rapport qui s’intitule “Le monde agricole face au défi de l’agribashing”, pour la FNSEA Grand Bassin Parisien. Expert-consultant, chargé d’enseignement à Sciences Po Aix-en-Provence et à Audencia Business School à Nantes, il est également intervenant pour le site Wikiagri.fr et WikiAgri Magazine.

1 / L’agribashing suppose-t-il une vision simpliste du monde agricole pluriel ?

L’agribashing, tel qu’il est défini dans le rapport*, est le sentiment partagé par de nombreux agriculteurs selon lequel le mode de production agricole conventionnel ferait l’objet de fréquentes critiques dans l’espace public et en particulier dans la presse et les médias. Jusqu’à la seconde moitié des années 2000, la critique se concentrait, en effet, sur les OGM. Or, aujourd’hui, elle vise d’abord l’élevage intensif, voire l’élevage tout court, ainsi que l’usage de produits phytosanitaires, soit le coeur même de l’agriculture conventionnelle. Derrière cette notion d’agribashing, il y a donc la crainte selon laquelle ces critiques pourraient finir par conduire à l’interdiction totale des pesticides, dont l’interdiction à venir du glyphosate en France serait le signe avant-coureur, et même à la fin de l’élevage sous l’influence des végans et donc à la fin plus ou moins programmée du mode de production conventionnel. C’est ce qui explique, à mon avis, les raisons pour lesquelles les réactions que l’on observe actuellement dans le monde agricole à propos des critiques dont il peut faire l’objet sont aussi vives, notamment sur les réseaux sociaux.

Le risque est néanmoins que cette notion d’agribashing entretienne ce que l’on peut appeler une “guerre des modèles” (bio vs. conventionnel) qui me paraît dangereuse et même contre-productive et qui consiste à répondre coup pour coup aux attaques et en définitive à lutter contre l’agribashing… par un écolobashing, un véganbashing, un médiabashing ou encore un bobobashing.

Mon ambition, à travers ce rapport, n’était pas, en effet, de donner des arguments à un camp pour qu’il puisse mieux combattre l’autre camp dans une sorte de guerre de tranchées ou de guerre de religions. Il était plutôt de dire : attention, une partie des citoyens-consommateurs ne suit plus. Qui plus est, ce sont les consommateurs les plus qualifiés, économiquement les plus aisés et les plus informés (on ne peut s’en tenir uniquement à l’argument de la manipulation malveillante de consommateurs qui seraient ignorants et donc facilement manipulables par des ONG et des médias). Or, j’ai le sentiment que si l’on continue comme cela, une partie de l’agriculture va dans le mur en faisant face à un risque potentiel de boycott de facto (comme c’est le cas pour les OGM) plus ou moins validé par les autorités et le marché (agroalimentaire et grande distribution) et de “buycott” (comme on le voit avec l’explosion de la consommation de produits bio ou, dans une moindre mesure, de produits veggies).

2 / L’image de l’agriculture et des agriculteurs était-elle la même il y a seulement vingt  ans ? Les agriculteurs sont-ils co-responsables de ce nouvel acharnement plus « radical » ?

Je pense qu’il faut bien distinguer l’image de l’agriculture de celle des agriculteurs. En France, l’image des agriculteurs en tant que tels reste excellente. En fonction des circonstances (par exemple des crises sanitaires souvent plus liées d’ailleurs à l’agroalimentaire qu’à l’agriculture en tant que telle, comme l’affaire du Chevalgate**), cette image peut fluctuer, mais dans l’ensemble, elle reste bonne. On le voit aussi dans les enquêtes menées au moment de mouvements sociaux des agriculteurs qui sont le plus souvent très largement soutenus. Les Français ont un grand respect pour ce métier exigeant souvent exercé dans des conditions économiques difficiles.

En revanche, il est certain que l’image de l’agriculture a évolué ces dernières années avec notamment une critique de plus en plus visible de l’industrialisation et de la globalisation de la production agricole (intrants chimiques, élevage intensif, fermes géantes, OGM, AGM, clonage, etc.) et, plus largement, de la production alimentaire. Il y a vingt ans, personne ne revendiquait ouvertement dans l’espace public la fin de l’élevage, comme peuvent le faire les abolitionnistes comme L214 aujourd’hui, ou encore la fin des pesticides. A l’époque, la critique des produits phytosanitaires, par exemple, se concentrait sur la protection des abeilles et de la santé des agriculteurs en exigeant la fin de l’usage des pesticides les plus dangereux et un usage raisonné des produits en général. Aujourd’hui, c’est souvent l’ensemble des pesticides que leurs pourfendeurs veulent supprimer au nom de la protection de la santé de tous les consommateurs.

Même si ça n’est pas facile à admettre, on peut effectivement considérer que les agriculteurs, du moins pour une partie d’entre eux, ont une part de responsabilité dans cette dégradation de l’image de l’agriculture dans certains segments de l’opinion en France en se retrouvant sous la dépendance ou en se rendant dépendants d’entreprises qui sont très largement sous le feu des critiques (industrie agrochimique, IAA, grande distribution, entreprises multinationales américaines). L’agribashing est, en effet, plus un chimiebashing, un Monsantobashing, un agrobashing ou un foodbashing qu’une critique de la production agricole à proprement parler. On l’a bien vu cet été avec le verdict du procès intenté contre Monsanto à San Francisco où des agriculteurs se sont sentis obligés de défendre la firme américaine contre le plaignant. Or, qu’on le déplore ou pas, c’est une position difficilement tenable aux yeux d’une large partie de l’opinion.

3 / Quelle « riposte » préconise votre rapport et quelles recommandations donnez-vous ? Vous évoquez par exemple la création l’Observatoire agriculture et société…

La principale riposte ou réponse que préconise le rapport est, pour le monde agricole, se s’adresser à nouveau directement aux citoyens-consommateurs. La complexification du mode de production alimentaire a, en effet, éloigné les agriculteurs, avant tout producteurs de matières premières brutes, du consommateur final. Parallèlement, la part des agriculteurs dans la population active et dans la population totale a continué à se réduire. Ceux-ci peuvent même être désormais minoritaires dans le monde rural. Les incompréhensions réciproques entre les agriculteurs et le reste de la société se sont donc accumulées ces dernières années. On le voit bien avec les tensions qui peuvent exister entre une partie d’entre eux et les néo-ruraux, du coq qui chante le matin jusqu’à l’épandage de produits phytosanitaires. Or, jusqu’à présent, le réflexe du monde agricole a été de s’adresser d’abord aux professionnels en recourant le plus souvent à une argumentation technico-rationnelle. Une étude récente du Syrpa indique ainsi que seuls 17% des messages de la profession agricole s’adressent directement au grand public. C’est cela qui doit changer en priorité. Les agriculteurs doivent recréer un lien direct avec les Français.

Pour cela, le monde agricole doit saisir, ou bien créer, toutes les occasions possible d’entrer directement en contact avec le consommateur, à instar de l’initiative des fermes ouvertes ou des magasins de producteurs par exemple, en nouant un dialogue avec lui, loin des préjugés réciproques, et il doit être également plus présent, en tout cas de façon plus efficace et proactive, dans les médias grand public (les spécialistes du marketing diraient que le monde agricole doit prendre sa “part de voix” dans l’espace public).

Certains agriculteurs commencent à le faire via les réseaux sociaux ou des chaînes YouTube. Cela va dans le bon sens, mais on peut se demander si cela touche vraiment le grand public. D’où la proposition du rapport de créer un organisme dédié qui pourrait s’appeler Observatoire agricultures (au pluriel) et société et qui s’inspire d’expériences qui ont pu être menées dans d’autres pays, comme les Etats-Unis, le Canada ou l’Australie avec les Centre for Food Integrity (CFI) ou comme le Royaume-Uni avec le Science Media Center. L’idée est simple. Prenons le cas d’un couple qui vient d’avoir un enfant. En général, il va être plus soucieux de la façon dont son alimentation est produite. Comment va-t-il s’informer ? Il y a certes des sources officielles, comme le PNNS, mais les spécialistes eux-mêmes reconnaissent que, par exemple, la campagne en faveur des cinq fruits et légumes par jours a été un échec. Il se retrouve alors face à une pléthore de sources d’information, des blogs aux ouvrages d’Henri Joyeux, en passant par les reportages alarmistes diffusés dans les médias, les infos d’associations ou d’entreprises, etc. Au final, il est totalement perdu tout en tendant tout de même à se méfier des points de vue des industriels, voire des experts accusés de collusion avec les intérêts industriels. L’idée de cet organisme serait donc de répondre à ces questions que se posent les consommateurs en regroupant des spécialistes reconnus qui puissent donner une information fiable, faire du fact-checking et intervenir dans les médias pour faire la part du vrai et du faux sur tel ou tel sujet. La crédibilité d’une telle prise de parole ne peut bien évidemment s’appuyer que sur l’indépendance de leurs analyses, par rapport aux industriels (il ne doit en aucun cas apparaître comme un groupe d’intérêt sinon il ne serait pas pris au sérieux par les citoyens-consommateurs), mais aussi aux ONG.

* “Le mot « bashing » est souvent employé par celles et par ceux qui se disent être les victimes d’un dénigrement systématique, tout particulièrement dans les médias. Ces dernières années, il a d’ailleurs été souvent question de foodbashing, de pharmabashing, de chimie bashing ou de bank bashing .Le terme « agribashing » ou l’expression « agriculture bashing » ont progressivement émergé pour exprimer ce sentiment dans le monde agricole.  Ce rapport, qui est consacré au défi que l’agribashing représente pour les acteurs de ce secteur vise par conséquent à répondre à deux questions simples : (1) Y a-t-il un agribashing ?, (2) Comment le monde agricole peut-il y répondre ?” indique Eddy Fougier en introduction de son document.

** Fraude à la viande de cheval de 2013 (cf wikipedia)