3 questions à
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29/11/2016
Louise Fresco, Présidente de l’Université et du Centre de Recherche de Wageningen
Présidente de l’Université et du Centre de Recherche de Wageningen (Pays-Bas)
Invitée du déjeuner-débat organisé par saf agr’iDées le 21 octobre 2016 avec Marion GUILLOU et Pamela RONALD, deux autres grandes dames de la recherche agronomique, Louise FRESCO a accepté de répondre à nos questions.
1/ Quels sont selon vous les leviers les plus efficaces pour répondre aux objectifs de sécurité alimentaire ?
Il faut en premier lieu viser l’optimisation dans l’utilisation des intrants. Mais au-delà du produit lui-même, il faut prendre en compte tout ce qui sort de l’agriculture. La durabilité se situe à l’opposé du gaspillage ; en prenant en compte tout le cycle de production, elle permet de rendre l’agriculture plus efficiente. Pour y parvenir il est nécessaire d’investir dans les technologies, mais aussi d’associer sciences fondamentales et sciences appliquées. Ainsi, on pourrait obtenir la fixation de l’azote dans toutes les plantes et pas seulement dans les légumineuses en appliquant une amélioration génétique, mais aussi reprendre l’azote perdu dans la filière. Autre exemple : la production laitière. La technologie a permis de valoriser tout le cycle de production et pas seulement le lait, véritable sous-produit chimique des enzymes et des hormones, en y intégrant la biomasse et la production de biogaz.
Mais, pour mettre en œuvre cette durabilité de l’agriculture, il est nécessaire d’adopter toute une série de mesures, notamment législatives. Dans la plupart des pays, on peut encore émettre des GES, polluer les sols ou gaspiller de l’eau sans être pénalisé. A mon avis, tout effet néfaste dans l’environnement doit être payé par le producteur et le consommateur.
D’autre part, il faut que la société soit consciente que tout choix dans l’agriculture a un coût. Si on veut voir des vaches dans un pré, il faut savoir que cela a un coût environnemental. Et puis, même si c’est difficile, il faut accepter que certaines émotions n’aient pas toujours une base scientifique.
Parmi les autres leviers, il me semble qu’une fiscalité successorale favorable et un financement de la modernisation de l’agriculture peuvent avoir des impacts très positifs en particulier auprès des jeunes entrepreneurs qui sont très endettés. La robotisation de l’agriculture peut aussi leur ouvrir de nouvelles possibilités, une liberté personnelle et une image high tech et moderne même, leur donnant ainsi l’envie et la fierté d’être « paysan-entrepreneur ».
Sur le plan sociétal, j’estime enfin qu’il faut investir énormément dans l’éducation sur l’agriculture, la nutrition et l’environnement, et ceci dès l’école primaire.
2/ Parmi les travaux de vos institutions, quelles sont les pistes les plus prometteuses pour les 10-20 prochaines années ?
La nutrition personnalisée, la nouvelle génétique et l’utilisation des bases de données sur les sols et les plantes sont trois domaines très porteurs d’espoirs.
La nutrition personnalisée des humains, mais aussi celle des animaux permet pour chaque profil génétique d’obtenir des produits individualisés, par exemple plus ou moins dosés en calcium. Elle peut relier le producteur au consommateur par le biais d’une technologie d’étiquetage.
La nouvelle génétique (gene editing) ne produit pas nécessairement des ogm, mais peut par l’utilisation de biotechnologies d’activer par exemple les gènes dormants d’une tomate et de multiplier par 3 ses propriétés antioxydantes.
L’utilisation de données très spécifiques sur la qualité des sols et la croissance des plantes conduit à une fertilisation optimale, au bon moment ou à la réduction des produits phytosanitaires en particulier sur pomme de terre.
3/ Comment peut-on instaurer un dialogue constructif entre les scientifiques et la société pour faire avancer le transfert d’innovation ?
Il faut demander aux hommes politiques le courage moral afin de se prononcer sur l’importance de l’investissement dans la modernisation et la technologie pour le futur de l’agriculture. Si l’on n’avance pas, on recule.
Je mets beaucoup d’espoir dans la jeune génération, celle des moins de 40 ans. J’aimerai qu’il y ait un leader charismatique de la société civile par exemple qui se positionne en faveur de l’innovation en agriculture. De leur côté, les scientifiques doivent aussi prendre leurs responsabilités, s’engager et débattre. Le dialogue est important, car la science doit s’engager durablement.
4/ En matière de production agricole et de consommation alimentaire, la FAO insiste particulièrement sur le rôle des femmes. Quels sont selon vous les points clés sur lesquels les scientifiques doivent travailler pour aller dans ce sens ?
Dans tous les pays, les femmes doivent pouvoir profiter de la modernisation. Il faut éviter l’idée que « small is beautiful », que la petite technologie est à réserver aux femmes. Au contraire, il faut les prendre au sérieux, et leur donner les mêmes possibilités, y compris les financements nécessaires, que celles accordées à une grande entreprise.