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3 questions à

Temps de lecture : 5 min

16/11/2016

Pr. Pamela Ronald, Professeur au Département de pathologie végétale et au Centre du Génome, Université de Davis, Californie

Professeur au Département de pathologie végétale et au Centre du Génome, Université de Davis, Californie, Etats-Unis

 

Invitée du déjeuner-débat organisé par saf agr’iDées le 21 octobre 2016 avec Louise FRESCO et Marion GUILLOU, deux autres grandes dames de la recherche agronomique, Marion GUILLOU a accepté de répondre à nos questions.

1/ Quels sont selon vous les leviers les plus efficaces pour répondre aux objectifs de sécurité alimentaire ?

Je crois qu’il est logique d’utiliser toutes les technologies adéquates pour consolider les trois piliers de l’agriculture durable. Nous devons faire en sorte que les populations les plus pauvres aient accès à l’alimentation dont elles ont besoin pour être en bonne santé. Nous devons nous demander si les agriculteurs et les communautés rurales peuvent se développer et être certains que chacun puisse avoir les moyens de se nourrir. Et enfin, nous devons minimiser la dégradation de l’environnement. C’est un immense défi. Réjouissons-nous des progrès scientifiques et utilisons-les. Il en va de notre responsabilité de faire tout notre possible pour soulager les souffrances des êtres humains et de sauvegarder l’environnement.

2/ Votre expertise est reconnue en matière de génétique du riz. Pouvez-vous décrire certains de vos travaux ainsi que leurs objectifs ?

J’étudie le riz, un aliment de base pour plus de la moitié des habitants de la planète. Chaque année, quatre millions de tonnes  de riz qui auraient pu nourrir trente millions de personnes sont perdues à cause des inondations. Le riz se développe bien dans l’eau stagnante, mais la plupart des variétés meurent si elles sont immergées pendant plus de trois jours.  Or, avec le changement climatique, de grandes zones sont de plus en plus sujettes aux inondations, en particulier en Asie, dans les grands deltas où se trouve une bonne partie des zones de culture rizicole.

 

Avec mon équipe de recherche, nous avons réussi à identifier un seul gène responsable de la résistance à la submersion chez le riz. Nous l’avons appelé « Sub 1 ». Nous avons donc sélectionné des variétés de riz contenant ce gène qui peuvent survivre à deux semaines en immersion complète. Ces variétés sont aujourd’hui produites commercialement en Asie. Grâce au financement de la Fondation Bill & Melinda Gates, cinq millions d’agriculteurs ont pu les cultiver en 2015, en particulier en Inde et au Bengladesh. Les résultats sont très prometteurs, permettant notamment d’augmenter les revenus de nombreux petits producteurs.

 

3/ Comment peut-on instaurer un dialogue constructif entre les scientifiques et la société pour faire avancer le transfert d’innovation ?

A mon avis, il est plus utile de discuter de cas particuliers, de certaines pratiques agricoles, pour produire des cultures bien spécifiques, et répondre à enjeux bien définis, pour faire avancer le débat sur l’alimentation et l’agriculture. L’utilisation de termes généraux et chargés comme «OGM» est souvent un frein au dialogue : chacun a sa propre définition, ce qui entraîne le plus souvent des incompréhensions.

 

Pour beaucoup de gens, les modifications génétiques importent peu lorsqu’il s’agit de transférer des gènes de riz dans des plants de riz, ou de faire de la sélection par radiation, ou encore de combiner deux espèces par greffage. Mais quand on en arrive à insérer des gènes de virus ou de bactérie dans des plantes, certaines personnes sont sceptiques et se demandent pourquoi les scientifiques ont de telles pratiques. En fait, c’est parfois la technologie la plus sûre, la moins chère et la plus efficace pour répondre aux enjeux de durabilité de l’agriculture et de la sécurité alimentaire.

 

Par exemple, la filière papaye d’Hawaii, où les vergers avaient été presque entièrement décimés par un virus (ringspot) dans les années 1950, a pu être reconstruite dans les années 1990 grâce à l’amélioration génétique des papayers pour les rendre résistants à ce virus, par génie génétique. Actuellement, il n’existe toujours pas de méthode de lutte alternative contre cette maladie virale et 80% des vergers en production sont génétiquement modifiés. Et si vous vous sentez encore mal à l’aise, réfléchissez à ceci : la papaye immunisée ne contient que des traces du virus. Si vous mordez une papaye infectée, vous mangerez dix fois plus de protéine virale.

Il est important de comprendre que la science ne repose pas sur des croyances. Mon opinion n’a pas d’importance. Ce sont les preuves qui comptent. La confusion existe aujourd’hui entre les opinions, ou les croyances, avec les faits, les réalités scientifiques. C’est une source d’incompréhensions récurrentes entre la société et les scientifiques.

4/ Vous êtes l’auteure d’un livre original, qui n’a pas été traduit en français, et qui s’intitule « la Table de demain : agriculture biologique, génétique et futur de l’alimentation ». Vous l’avez écrit à quatre mains avec votre mari qui est producteur bio. Pouvez-vous nous en parler ? 

Dans ce livre, nous avons voulu montrer que les pratiques de l’agriculture biologique et la génétique ne sont pas incompatibles, contrairement aux idées reçues, mais que, au contraire, ces voies visent les mêmes objectifs de durabilité économique, environnementale et sociale pour la production agricole. Finalement, les oppositions entre les modèles agricoles se situent souvent davantage au niveau des consommateurs que des producteurs, plus pragmatiques. Nous avons écrit ce livre en dehors de toute idéologie, partageant entre nous et avec le lecteur le goût pour la bonne cuisine et les aliments sains, ce très répandu en Californie.