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Temps de lecture : 3 min

05/05/2025

Aux frontières d’ÉGALIM

L’Académie d’agriculture de France a organisé le 30 avril 2025 une séance publique sur le thème “ÉGALIM : Quel terrain d’atterrissage ? consécutive aux travaux d’un groupe de réflexion interne qui a mené de nombreuses auditions. La question n’avait rien d’ironique, presque 8 ans après le déroulement des États Généraux de l’Alimentation lors du second semestre de l’année 2017, puis trois lois dites “ÉGALIM” de 2018, 2021 et 2023, et peut-être avant une quatrième loi ÉGALIM cet automne, il s’agissait de faire la part des choses entre perplexité et complexité.

Dans les faits, nous sommes progressivement passés d’une première loi ÉGALIM aux objectifs très vastes et optimistes, requérant un esprit de co-construction : “l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire, et une alimentation saine, durable et accessible à tous“, à des lois suivantes aux objectifs ciblés et aux méthodes directives s’imposant aux acteurs économiques (inversion de la logique contractuelle, encadrement des promotions, relèvement du seuil de revente à perte, non-négociabilité de la quote-part des matières agricoles dans les produits alimentaires, mécanismes de transparence entre opérateurs de la chaîne alimentaire). Néanmoins, cet encadrement législatif s’est accompagné d’une liberté pragmatique concernant le champ d’application des lois. Ainsi, dans le spectre agricole s’y retrouvent plutôt les filières animales et non les végétales, quant aux acteurs, aux côtés des agriculteurs, sont intéressés les industriels et la distribution, mais ni les grossistes ni la restauration hors foyer. In fine c’est une portion minoritaire du budget alimentaire des Français qui est concernée.

Dans son communiqué du 22 avril 2025[1], concernant les dernières négociations commerciales annuelles qui se sont déroulées du 1er décembre 2024 au 1er mars 2025, le Médiateur des relations commerciales agricoles a noté la dégradation des relations entre industries/commerce aux dires des opérateurs, et relevé par ailleurs que la non-négociabilité de la matière première agricole reste “difficile à appliquer en dehors du secteur laitier“. Dès lors, comment évaluer l’efficacité de ces lois qui laisse en grande partie les acteurs concernés sur leur faim ?

Au cours de la séance à l’Académie, les différents intervenants de qualité qui se sont exprimés ont aisément reconnu la légitimité des questions posées par ces lois mais ont débattu de la pertinence des concepts ou leviers utilisés tant la complexité des situations fragilise toute généralisation, et tant la culture du rapport de force des acteurs freine toute vision collective. Ce dernier constat entraîne les pouvoirs publics à chercher à régler la vie des affaires dans les moindres détails au risque de diluer les objectifs initiaux. Il y a là une spécificité française qui a été pointée du doigt par le CGAAER[2] dans un récent rapport, faisant le constat que, dans une situation analogue, des pays proches (Allemagne, Belgique, Espagne, Pays-Bas) opèrent très différemment, les pouvoirs publics y fixent le cadre général et ensuite sanctionnent les comportements déviants.

Des nombreuses questions posées par l’application des lois ÉGALIM, celle relative à la connexion avec l’Europe mérite attention car nul n’oublie que nous évoluons dans un marché intracommunautaire ouvert et que le sujet de la souveraineté se joue essentiellement avec l’arbitrage de la compétitivité.

Au cours de la séance académique, Fabien Santini de la DG Agri a cité les quatre axes de travail de la Commission européenne, initiés depuis un rapport de décembre 2016, concernant le renforcement de la position des agriculteurs et le bon fonctionnement de la chaîne alimentaire. Il s’agit de :

  • La transparence (création d’observatoires, émergence et utilisation volontaire d’indicateurs de coûts) ;
  • La contractualisation (les Etats “peuvent” la rendre obligatoires, de même des formules de prix avec des indicateurs “peuvent” être utilisées…). Néanmoins il est réaffirmé que la liberté de négociation demeure un principe ;
  • La coopération entre acteurs (entre producteurs, entre acteurs des filières…) ;
  • La lutte contre les pratiques commerciales déloyales.

 

L’objectif européen vise à éviter que les agriculteurs (ou les TPE/PME) ne soient contraints de vendre leurs produits dans de mauvaises conditions, voire à perte, du fait de relations économiques asymétriques. Cependant il n’est pas question de remettre en cause le fonctionnement du marché intracommunautaire, l’orientation par les marchés est un fondement de l’Europe agricole (pas de prix “garantis”), et les surcharges administratives tant dans les contrôles que dans le quotidien des acteurs économiques doivent être évitées.

La frontière d’ÉGALIM est là, entre une vision française traditionnellement interventionniste, à la limite désormais d’institutionnaliser le marché, et un regard européen confiant dans la capacité des acteurs à se rencontrer dans un cadre préétabli. Au-delà des mots il y a peu de chance de voir apparaître un ÉGALIM européen stricto sensu, par contre Bruxelles reprendra certainement toute bonne idée, ou tout outil, qui améliorerait la régulation des marchés. Soyons européen. Chiche !

 


[1] Communiqué de presse du 22 avril 2025 “Observatoire des négociations commerciales annuelles – Présentation des résultats 2025“.

[2] Rapport du CGAAER N°24021 sur la chaîne alimentaire : “Que retenir d’une analyse dans quelques pays européens ?” de Juin 2024 par Françoise Moreau Lalanne et Daniel Nairaud.