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22/09/2025
« L’innovation au quotidien en agriculture : comment en parler d’une seule voix ? »

Pour son édition 2025 au SPACE à Rennes, le Grand Débat, organisé par Agriculteurs de Bretagne, le SYRPA et le SPACE a réuni éleveuses et éleveur, entrepreneurs, enseignants-chercheurs et experts autour d’une question centrale : « « l’innovation au quotidien en agriculture : comment en parler d’une seule voix ? ». Les échanges, animés par Gabrielle Dufour, responsable Energies et Durabilité des systèmes à Agridées, ont offert une plongée dans la réalité d’une agriculture qui innove, mais surtout qui s’interroge sur le sens de ses évolutions et leur reconnaissance par le grand public.
Gabrielle Dufour rappelle en préambule que « l’innovation agricole est perçue différemment par le grand public et les agriculteurs : les Français ont une perception plutôt négative des innovations en agriculture, l’associant à une logique productiviste, alors que les agriculteurs y voient une possibilité d’améliorer les performances économiques et le confort de travail ».
Des profils et visions des innovations variés, unis par la recherche de sens
De la robotique à la valorisation des races locales, les participants s’accordent : l’innovation n’a de valeur que si elle sert le projet agricole et l’humain.
- Hervé Célard, éleveur laitier dans le Morbihan, pionnier du robot de traite, lie robotique et automatisation au bien-être humain, au confort de travail et à l’attractivité pour les salariés. Selon lui l’innovation doit aussi se chercher à l’extérieur, dans le partage d’idées nouvelles et de regards variés, comme l’illustre son adhésion dans un club d’éleveurs international ;
- Aurore Célard, gestionnaire d’un magasin à la ferme, d’un relais colis et animatrice de visites pédagogiques, voit l’innovation dans les compétences, la formation, la prise de décision stratégique mais également le retour du lien avec les consommateurs ;
- Aline Criaud, éleveuse de vaches armoricaines en Ille-et-Vilaine a mis fin à une expérience de 10 ans dans le conventionnel pour un petit troupeau en bio et en vente directe, prônant des innovations « de ralentissement » : races locales, circuits courts, recherche de sens et d’équilibre. Elle rappelle que l’innovation doit permettre de « mieux vivre » et non d’être contraint par des investissements trop lourds, et qu’elle doit être au service d’une vision environnementale durable ;
- Maxime Labarrère, fondateur d’Héritage Agri, ex-chef d’entreprise, accompagne les exploitations dans leur stratégie et leur communication. Pour lui l’innovation clé est organisationnelle et managériale et permet de passer du statut de chef d’exploitation à celui de chef d’entreprise agricole. Il insiste sur l’équilibre entre performance économique et exigences environnementales : « Dans dix ans, tous les chefs d’entreprise agricole devront nécessairement avoir une vision écologique, qui s’appuie elle-même sur une stratégie économique solide. Comment penser ses impacts sur l’environnement quand on ne connait même pas son coût de revient ? » ;
- Rémi Fourrier (retraité de AHDB, Royaume-Uni), spécialiste de l’élevage bovin en Grande Bretagne, souligne le pragmatisme britannique : l’innovation y est d’abord économique, guidée par la marge et le marché, dans un contexte où les « gentlemen farmers » sont plus éloignés du grand public. Il souligne cependant le succès des magasins à la ferme et le lien affectif des citoyens Britanniques comme des agriculteurs pour la beauté des paysages ;
- Christophe Alcina (Irisolaris) développe des solutions photovoltaïques et agrivoltaïque raisonnées : stockage, autoconsommation, et installations de petites surfaces. Pour lui, l’énergie est une source d’autonomie et de diversification au service de l’agriculture ;
- Soazic Di Bianco, enseignante-chercheuse à l’ESA d’Angers, rappelle que les innovations sont souvent pensées « par le haut » et que de nouveaux profils d’agriculteurs peinent à s’y retrouver. Elle rappelle également qu’une partie des innovations viennent des agriculteurs eux-mêmes et que devant la pluralité des enjeux (attractivité, main-d’œuvre, contraintes environnementales…) les agriculteurs sont invités à se réapproprier les enjeux d’innovation, à s’interroger sur les objectifs stratégiques de leurs exploitations (pas uniquement produire).
Communiquer : une innovation à part entière
Tous reconnaissent que communiquer est devenu une composante du métier. Qu’il s’agisse d’ouvrir les fermes, d’expliquer les compromis ou de valoriser les produits, la communication est un outil stratégique autant qu’un acte citoyen.
Pour Aurore Célard, « expliquer le bon sens paysan » est essentiel pour rétablir une forme de justice et de reconnaissance pour les agriculteurs. Pour Aline Criaud, qui vend 100% de ses produits en circuit court, la communication s’inscrit dans une stratégie marketing essentiel pour trouver des acheteurs. Maxime Labarrère en fait même un levier d’attractivité pour l’emploi dans les exploitations agricoles.
Une voix commune… ou une pluralité assumée ?
La question de parler « d’une seule voix » a animé les échanges. Certains y voient une nécessité pour être mieux entendus, d’autres soulignent l’impossible uniformité d’un secteur marqué par la diversité des contextes, des productions et des aspirations.
Le dénominateur commun existe pourtant : la passion du métier, l’amour du vivant, le partage des difficultés et des incertitudes quotidiennes.
Une agriculture en mouvement
En filigrane, ce Grand Débat révèle une agriculture ouverte, curieuse et tournée vers l’avenir. Les innovations – qu’elles soient technologiques, organisationnelles ou sociales – ne sont pas là pour uniformiser les pratiques, mais pour offrir à chaque agriculteur et agricultrice la liberté de construire son propre modèle, à la croisée de l’économie, de l’environnement et du lien avec la société.