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28/04/2022
Loi 3DS : du renouveau pour les chemins ruraux
Edito de Manon Sahut pour le Quinzomadaire #8 du 15 avril 2022.
Les chemins ruraux, grands oubliés de tous, bien qu’empruntés par tous, sont définis comme les chemins affectés au public mais non classés par la commune en tant que voies communales (C. rur., art. L. 161-1). Ils font partie intégrante des zones rurales. Peu importe leur destination (randonnée, chasse…), le critère principal pour obtenir cette qualification est l’affectation à l’usage du public (Cass. 3e civ. 9 avr. 2013, n° 12-12.819). Cette affectation est d’ailleurs présumée au sein de l’article L. 161-2 du même Code.
Contrairement à leurs compères, les chemins d’exploitations, qui sont détenus par des propriétaires privés, les chemins ruraux sont la propriété de la commune. Malgré l’affectation au public, critère important pour qu’un bien entre dans la domanialité publique, ces chemins font partie du domaine privé de la commune en application de l’article L. 141-1 du Code de la voirie routière. Ainsi, la gestion de ces chemins bénéficie-t-elle d’une souplesse particulière. Si le principe d’inaliénabilité régit la domanialité publique, il n’en est rien pour le domaine privé. Quelques exceptions sont toutefois imposées. La cession d’un chemin rural est conditionnée à la désaffection de fait et la conduite d’une enquête publique. Toutefois, la jurisprudence récente a admis l’aliénation d’un chemin rural par une délibération du conseil municipal, alors même que ce dernier continuait à être utilisé par le public (TA Nancy, 15 déc. 2020, n° 1903215). Une telle solution fragilise l’existence de ces chemins.
A plusieurs reprises, des projets de loi ont été déposés afin d’apporter une protection à ces chemins, sans succès. Il a fallu attendre la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi « 3DS ». Parmi ses nombreux articles, quelques-uns réforment de manière conséquente le régime applicable aux chemins ruraux.
Le recensement facultatif – Si, parfois, les chemins ruraux sont recensés notamment au travers de leur destination (recensement des chemins de randonnée), bien souvent il n’en est rien. La loi 3DS insère l’article L. 161-6-1 dans le Code rural et de la pêche maritime, en vertu duquel les communes peuvent par délibération du conseil municipal effectuer un recensement des chemins ruraux. Ce recensement permet une meilleure connaissance de ces derniers. Il s’effectuera, pour les communes qui le souhaitent, en deux temps. Une première délibération interviendra pour mettre en œuvre ce recensement. Une enquête publique devra ensuite être menée. Une seconde décision du conseil municipal, qui ne pourra être prise plus de deux ans après la première, arrêtera le tableau définitif comprenant les chemins ruraux.
Quoiqu’un amendement ait été déposé pour rendre obligatoire ce recensement, et notamment imposer une révision quinquennale, le législateur a fait le choix de la liberté laissée aux communes : cette procédure est facultative.
La suspension du délai de la prescription acquisitive – Si la mise en place de la procédure de recensement est facultative, elle est néanmoins intéressante pour les communes. Les chemins ruraux faisant partie du domaine privé, ils sont susceptibles d’appropriation par un tiers en application de la prescription acquisitive trentenaire. Si un particulier rapporte la preuve d’une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire (C. civ., art. 2261), il peut devenir propriétaire de la parcelle contenant le chemin, mettant ainsi en péril la pérennité des chemins ruraux.
La loi du 21 février dernier a entendu protéger ces voies du mécanisme de la prescription acquisitive. A cet effet, la décision du conseil municipal d’entreprendre un recensement emporte suspension du délai de trente ans. S’agissant d’une suspension et non d’une interruption, le délai recommencera à courir à compter de la seconde décision du conseil municipal, ou au plus tard deux ans après la première.
La nécessité d’une désaffectation de fait en cas de cession – La vente des chemins ruraux par les communes est autorisée sous conditions (v. ci-dessus). La loi « 3DS » vient toutefois apporter une précision intéressante, ne visant pas directement la cession, mais l’impactant considérablement. Après la présomption d’affectation à l’usage du public édictée à l’article L. 161-2 du Code rural et de la pêche maritime, le législateur ajoute un alinéa interdisant la désaffectation par une décision administrative. Par cette insertion, il consacre définitivement la nécessité d’une désaffectation de fait afin de pouvoir aliéner un chemin rural, et vient prendre le contre-pied de la jurisprudence du tribunal administratif admettant la pratique de la désaffectation administrative (TA Nancy, 15 déc. 2020, n° 1903215).
La possibilité de procéder à un échange – L’aliénation d’un chemin rural est admise de longue date. Cependant, l’échange restait jusqu’alors prohibé. La loi 3DS, par l’insertion de l’article L. 161-10-2 dans le Code rural et de la pêche maritime autorise les communes à procéder par voie d’échange. Cependant, ce dernier doit répondre à plusieurs conditions impératives. De nouveau, c’est l’organe du conseil municipal qui dispose de la compétence pour prendre la décision de procéder à un tel acte.
L’échange est autorisé sous réserve toutefois de la protection des chemins ruraux : la continuité doit être respectée. Ainsi, en cas d’échange d’une parcelle contenant un chemin rural, son équivalent doit être créé et offrir une largeur et une qualité environnementale similaire, notamment au regard de la biodiversité.
La surprise de ce texte réside dans les conditions de formes imposées pour la cession : si l’usage fréquent est de recourir à une enquête d’utilité publique pour ce type de décisions, le législateur n’a pas fait ce choix. L’alinéa 3 de l’article précité dispose qu’une simple information au public est nécessaire au moins un mois avant la délibération du conseil municipal, avec la tenue d’un registre pour toute observation.
L’entretien du chemin rural – La loi « 3DS », qui permet une meilleure protection des chemins ruraux, a logiquement modifié les règles tendant à l’entretien de ces derniers. Sujet sensible depuis qu’il a été admis que les communes n’ont aucune obligation légale d’entretenir les chemins ruraux (CE, 8 novembre 1968, n°70927), il est souvent difficile d’en éviter la dégradation. À défaut d’entretien par la commune, une association syndicale peut en être chargée. Cette association n’est toutefois pas toujours présente. La loi du 21 février dernier permet, à défaut d’entretien par la commune ou par une association syndicale, d’établir une convention avec une association soumise à la loi de 1901 (C. rur., art. L. 161-11). Cette possibilité permettra d’augmenter le nombre de chemins ruraux entretenus.
De plus, avant l’entrée en vigueur de la loi « 3DS », un mécanisme de contribution pouvait être mis en place en cas de dégradation anormale, par la commune ou l’association syndicale chargée de l’entretien. Dorénavant, peut être mise en place une contribution spéciale pour toute dégradation (C. rur., art. L. 161-8).
L’élargissement de ces champs d’application permet une meilleure préservation de ces chemins.
Et l’avenir ?– Si les objectifs poursuivis par la loi « 3DS » sont louables, par la volonté de préserver les chemins ruraux, tant aimés des campagnes, il convient de surveiller son application. De ce texte résonne la question de l’usage que feront les communes des outils qui leur sont offerts, visant à protéger ces chemins qui traversent de part et d’autre l’espace rural. Seront-ils perçus comme un outil nécessaire à mettre en place, ou au contraire tomberont-ils dans l’oubli des procédures rarement utilisées ?