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Temps de lecture : 4 min

24/10/2024

Déforestation : un report controversé

Compte tenu de sa part majeure dans la consommation de matières premières agricoles mondiales, et dans le but de lutter contre la destruction ou la dégradation des forêts au profit de terres agricoles, l’Union européenne a adopté le 29 juin 2023 le règlement UE 2023/1115. Celui-ci dénommé à l’origine et à tort “déforestation importée” doit s’appliquer aussi bien aux importations qu’aux exportations européennes pour être en conformité avec les accords de l’OMC. Pour une série de produits (huile de palme, soja, café, cacao, viande bovine, bois et caoutchouc naturel) ainsi que pour certains produits qui en sont dérivés (chocolat, meubles, pneus, …) le règlement stipule que les opérateurs de mise en marché à l’importation comme à l’exportation doivent s’assurer qu’ils ne proviennent pas de parcelles déboisées après le 31 décembre 2020. Le texte prévoit que le système s’applique dès la fin de 2024, mais c’était sans compter l’opposition et les critiques de nombreux pays-tiers concernés comme d’opérateurs se déclarant insuffisamment préparés pour apporter les preuves documentaires de non-déforestation.

Face à la montée des protestations de certains États membres, de partis politiques représentés au Parlement Européen et d’organisations professionnelles, notamment dans le secteur de l’alimentation animale du fait de leur forte dépendance aux importations de soja, la Commission européenne a proposé le 2 octobre dernier de reporter d’un an l’application du règlement. Approuvée par le Conseil le 16 octobre, cette modification sera soumise dans le cadre des règles de codécision aux députés européens réunis en session plénière soit à Bruxelles les 13 ou 14 novembre prochain, soit à Strasbourg fin novembre.

D’ores et déjà, la Commission a soumis le 14 octobre le projet de report (30 décembre 2025 pour les grandes entreprises, 30 juin 2026 pour les micros et petites entreprises) à la Commission Environnement du Parlement européen où se sont exprimés des avis discordants sur le règlement et son report. Le groupe le plus important, le Parti Populaire Européen, qui avait sollicité le report, a confirmé sa position, tandis que l’extrême droite s’est prononcée pour l’abandon pur et simple du règlement. Pour leurs parts, les autres formations, des socialistes aux verts en passant par Renew Europe, ont manifesté leurs inquiétudes vis-à-vis d’un report qui pourrait ouvrir la voie à une révision du texte comme à de nouveaux délais supplémentaires.

En arrière-fond de ce débat et de celui à venir au Parlement en novembre 2024, il convient de revenir sur les sujets de controverse suscités par cette initiative européenne visant à lutter contre la déforestation dans le monde.

La première observation porte sur l’ambiguïté de l’initiative européenne. Si moins d’un quart de la déforestation planétaire est associé au commerce mondial, la part de l’UE étant en régression, la mesure européenne aura un impact très limité si les autres pays grands consommateurs de matières premières agricoles n’adoptent pas les mêmes dispositions, car dans ce cas les produits issus de la déforestation s’orienteront vers d’autres marchés. Par ailleurs, au-delà de la difficulté d’une définition internationalement admise de la forêt, et compte tenu de la diversité des situations des pays en développement concernés, les restrictions apportées aux importations pourraient toucher de larges populations de petits producteurs agricoles auprès desquels les preuves documentaires sont difficiles à réunir.

Aussi, la seconde observation se rapporte au système d’information exigé par le règlement. En utilisant les techniques de la géolocalisation, il s’agit d’une traçabilité parcellaire qui pourra être contrôlée par imagerie satellitaire. On conçoit que la mise en œuvre de ces techniques puisse se heurter à des difficultés, voire des impossibilités, en excluant ainsi des origines traditionnelles pourtant conformes. Alors qu’initialement était principalement visées les importations européennes, les engagements internationaux conduisent à soumettre les producteurs européens aux mêmes obligations. Or, l’application du règlement est apparue également difficile pour certaines exportations européennes pour lesquelles les instruments de traçabilité ne sont pas mis en place, ce qui explique le ralliement des organisations des producteurs européens aux demandes de report des dates d’application du règlement.

Compte tenu des remarques précédentes, le report pourrait rouvrir le débat sur le texte lui-même, comme le redoutent certaines parties prenantes et une partie des parlementaires européens. C’est d’abord le cas des entreprises qui depuis juin 2023 ont investi dans des systèmes d’information documentaire, et qui dès lors pourraient subir un dommage concurrentiel du fait du délai supplémentaire consenti aux moins prévoyants qui pourrait bénéficier d’une application plus flexible. S’agissant de la mise en œuvre de la traçabilité parcellaire, l’année 2025 pourrait conduire à la reconsidérer en introduisant une labellisation des zones non déforestées pour faciliter la constitution de la documentation douanière.

L’assouplissement du règlement à laquelle la Commission se refuse pour l’instant, serait un signal d’apaisement donné pour les pays du Sud qui ont fortement réagi contre ces dispositions, mais aussi pour les États membres de l’UE qui se sont émus des implications pour les productions bovines, de soja et de bois. Un tel scénario alimenterait les inquiétudes de tous ceux qui redoutent que le Parlement issu des élections de juin 2024, la nouvelle Commission, et les nouvelles configurations politiques des États membres réduisent les ambitions environnementales de l’UE.

Ainsi, le sujet controversé de la déforestation apparait comme un révélateur de deux débats plus larges : celui des clauses miroirs qui, à partir d’une bonne idée, se heurteront aux mêmes obstacles pratiques rencontrés sur le chemin du règlement déforestation, et celui de l’inflexion des politiques européennes de lutte contre le changement climatique.