L’intronisation du 47e Président des États-Unis le 20 janvier 2025 ouvre t-elle un nouveau cycle pour les ambitions de conquête territoriale terrestre et maritime de la part des États-Unis, de la Chine et de la Russie, s’encourageant mutuellement dans cette course de domination économique et politique des ressources agricoles, halieutiques et minières ?
Ainsi, avant même le début de son mandat, le nouveau Président américain annonçait le 7 janvier dernier au cours d’une conférence de presse ses objectifs d’expansion territoriale : se saisir, éventuellement par la force, du Groenland et du Canal de Panama et faire du Canada la cinquante-et-unième étoile de la bannière étoilée. Cette hubris vise le contrôle des relations maritimes internationales, qu’il s’agisse de Canal de Panama dont le rôle est essentiel pour le commerce avec l’Asie, ou le Groenland qui, outre ses ressources en matières premières, devient un facteur clé dans le développement des nouvelles routes maritimes arctiques à la faveur du changement climatique, le contrôle du Groenland s’inscrivant directement dans la compétition économique et militaire dans laquelle Moscou et Pékin défient les États-Unis.
De son côté, la Chine conduit depuis 2013 la stratégie des Nouvelles Routes de la Soie, en visant le contrôle des liaisons maritimes et ferroviaires entre la Chine, l’Europe et l’Afrique. Il s’agit de la prise de contrôle ou de la construction d’infrastructures portuaires, ferroviaires et routières dans 68 pays différents. L’Empire du Milieu veut ainsi s’assurer de son approvisionnement en matières premières, dont une large part en produits agricoles et alimentaires, tout en sécurisant les voies d’accès pour ses marchés d’exportation. Dans le même temps, la Chine conduit une stratégie d’expansion géographique en Mer de Chine orientale et méridionale. Outre le dessein de réintégrer Taïwan dont Pékin considère qu’il s’agit d’une province de la Chine continentale, le gouvernement chinois revendique le contrôle de nombreuses îles dans des conflits qui l’opposent au Japon (les îles Santaku), mais également à Brunei, à l’Indonésie, à la Malaisie, aux Philippines et au Vietnam. Pékin souhaite accroitre le contrôle des voies maritimes et de l’accès aux ressources de pêche d’un plus vaste domaine.
Quant au gouvernement du Kremlin, il s’est engagé dans la reconquête des pouvoirs perdus lors de l’implosion de l’URSS. A la consolidation des relations avec la Biélorussie et le Kazakhstan, et l’intervention directe dans la gouvernance des anciennes républiques fédérées, Moscou a entrepris dès 2013 une guerre larvée en Ukraine en appuyant des factions séparatistes pro-russes dans le Donbass, avant d’envahir la Crimée en 2014. L’attaque militaire de l’Ukraine le 24 février 2022 a marqué un nouveau tournant dans ce conflit car, au-delà de la volonté de Moscou de mettre fin à l’indépendance idéologique ukrainienne, la Russie vise à la fois le contrôle des ressources agricoles et minières de l’Ukraine, mais aussi l’accès aux infrastructures portuaires de la mer Noire qui se révèleraient stratégiques pour le premier exportateur mondial de blé. Par ailleurs, Moscou conduit une guerre hybride de déstabilisation de l’exercice démocratique des pays occidentaux et abonde en menaces qui font craindre le passage à l’action militaire aux frontières de l’Union Européenne. Enfin la Russie a entrepris en Afrique de nourrir les rancœurs des populations vis-à-vis des anciennes puissances coloniales pour y étendre ses zones d’influence.
Les visées hégémoniques des États-Unis, de la Chine, et de la Russie se développent au détriment des pays victimes de leurs appétits impériaux. Dans ce concert dissonant des nations, l’Union européenne ne parait pas avoir de stratégie. Sommée de se ranger aux côtés de chacun des trois protagonistes, elle partage des alliances économique et militaires avec les États Unis mais commercialement dépend très fortement des importations en provenance de Russie et de Chine. En se défendant d’avoir des ambitions territoriales, l’expansion de l’UE se réalise par des élargissements successifs avec des partenaires désireux de partager les mêmes valeurs et les mêmes principes de gouvernance. Mais faute de cohésion en matière de politique de défense, ses États membres s’exposent à faire les frais des empires conquérants. Avec la revendication américaine sur le Groenland, le Danemark est directement concerné par cette remise en cause du statut de ce territoire arctique. Or le Groenland fait partie des 13 Pays et Territoires d’Outre-Mer (PTOM) reliés à des membres de l’Union. Sont ainsi également potentiellement exposés aux convoitises les Pays-Bas (Aruba, Bonaire, Curaçao, Saba, Saint Eustache et Saint Martin) et la France (la Polynésie française, la Nouvelle Calédonie, Saint Barthélémy, Saint Pierre et Miquelon, Wallis et Futuna, et les territoires français non peuplées de l’Antarctique) qui par ailleurs est exposée dans ses départements d’Outre-Mer.
Verrou pour les voies maritimes et les câbles sous-marins de communication pour l’Australie et la Nouvelle Zélande, riche notamment en nickel et en cobalt, la Nouvelle Calédonie attise également les convoitises. Si très récemment l’Azerbaïdjan, par rétorsion contre l’appui de la France à l’Arménie dans le conflit qui oppose les deux pays, est intervenu directement en appui des partisans de l’indépendance, la Chine envisage depuis les années 80 de contrôler le « caillou » pour ses ressources minières et sa situation stratégique vis-à-vis des alliés des États-Unis dans cette région du monde. Ici comme en Afrique la Chine comme la Russie conduisent des guerres d’influence au nom de la décolonisation pour assumer à leur tour, sans aucun scrupule, des dominations de nature coloniale.
Si les actions conquérantes du nouveau président nord-américain devaient accélérer une séquence d’offensives décomplexées de la part de Moscou et de Pékin, force est de constater que les États membres de l’Union Européenne en seraient la principale victime. Comme en d’autres temps l’Empire Austro-Hongrois, l’UE est forte d’un ensemble de nations riches, mais fragile du fait de la fragmentation des intérêts des pays qui la composent. La manifestation des nouveaux appétits impériaux dans le monde suscitera-t-elle le sursaut européen pour que l’UE assume pleinement sa souveraineté ?