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24/07/2025
Un budget européen en trompe-l’œil

Le 16 juillet 2025, la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a présenté la très attendue proposition du Cadre financier Pluriannuel (CFP) pour la période 2028-2034. En annonçant un budget global de 2000 milliards d’euros pour ces 7 années, la Présidente a joué sur l’illusion d’un chiffre rond nominal, apparemment en forte hausse par rapport aux 1211 milliards de la période 2021-2027, auxquels s’étaient rajoutés les 806 milliards du Plan de Relance post Covid-2019. En effet ce nouveau budget évalué aux prix de 2025 ne représente que 1760 milliards.
Du côté des recettes, la Commission compte en plus des ressources habituelles sur 58,2 milliards supplémentaires, insuffisants néanmoins pour couvrir les remboursements de l’emprunt du Plan de relance, soit 24 milliards par an. Ces recettes nouvelles portent sur de nouveaux prélèvements (tabac 11,2 milliards ; déchets électroniques 15 milliards ; taxes sur les grandes entreprises 6,7 milliards) en plus d’une hausse de la taxe sur les emballages plastiques et une baisse des droits de douane conservés par les États membres (14,5 milliards) auxquels s’ajoutent les recettes relatives au système d’échange de quotas d’émission de l’UE (9,6 milliards) et les prélèvements du Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (1,35 milliard). Il est d’ores et déjà évident que de nombreux États membres s’opposeront aux ressources nouvelles lorsqu’elles ponctionnent des recettes de leurs propres budgets.
Pour ce qui est des emplois, la Commission a mis en œuvre les principes de réforme budgétaire annoncés dès février 2025. La fusion de multiples fonds anciennement répartis par grandes politiques publiques conduit ainsi à seulement 4 grands chapitres :
- 1062 milliards pour « Cohésion économique, sociale et territoriale, prospérité pour l’agriculture, le rural, le maritime, et la sécurité » ;
- 590 milliards pour « Compétitivité, prospérité et sécurité » ;
- 215 milliards pour « Europe globale » ;
- 117 milliards pour « Administration ».
Sur les 1062 milliards du premier chapitre, 865 milliards seraient alloués aux États membres, selon une clé à définir, pour la mise en œuvre de « Plans de partenariats nationaux et régionaux » (PPNR), une généralisation de la méthode appliquée actuellement pour la PAC avec les « Plans stratégiques nationaux » (PSN). C’est dans les PPNR que seraient logés les aides au revenu des agriculteurs (293,7 milliards) et la réserve agricole doublée par rapport à 2021-2027 (6,3 milliards). Ainsi le chiffre rond de 300 milliards pour la PAC a-t-il été confirmé par le Commissaire à l’Agriculture et à l’Alimentation, Christophe Hansen, au cours de son intervention le 16 juillet après-midi devant les membres de la Commission agricole du Parlement européen. Si le chiffre de 300 milliards sonne bien, il marque en fait un recul de 20% par rapport au budget précédent. Le Commissaire explique que les États membres pourront jouer sur la flexibilité de la fusion des deux piliers actuels de la PAC, qu’ils pourront également bonifier cette dotation sur leurs propres deniers et que ce budget de 300 milliards tient compte d’un meilleur ciblage des aides vers les agriculteurs qui en ont réellement besoin et vers les jeunes agriculteurs pour le renouvellement des générations, sachant que des mécanismes de dégressivité et de plafonnement des aides contribueront à ce ciblage.
L’agriculture pourrait ne pas être le seul secteur à faire les frais de cette simplification budgétaire, car le second sous chapitre des PPNR consacré à la « cohésion économique, territoriale et sociale » pour 452 milliards n’est pas précis sur la répartition des enveloppes, mention étant faite que 218 milliards pourraient aller aux régions les moins développées, et que la lutte contre la pauvreté devrait représenter au moins 14% des PPNR.
Enfin sur les 590 milliards qui iraient à la compétitivité, 409 milliards pourraient être consacrés à ce que le rapport Draghi (septembre 2024) appelait de ses vœux, mais pour un montant beaucoup plus important puisqu’il s’agissait d’investir 750 à 800 Mds par an grâce à des partenariats publics privés.
Cette proposition de CFP 2028-2034 joue sur l’illusion de montants nominaux en augmentation et sur le jeu de la fusion des anciens grands chapitres « cohésion » et ressources naturel » dont le fonds FEDER pour le premier et FEAGA et FEADR pour le second représentaient les navires amiraux. En jouant de la simplification budgétaire, la Commission poursuit un objectif de décentralisation, en laissant aux États membres les arbitrages entre les différentes politiques publiques, au risque de créer de profondes distorsions économiques et sociales. Les États membres, comme les parties prenantes de l’agriculture européenne, du développement régional et la cohésion sociale ne vont pas manquer de s’opposer à cette proposition en trompe-l’œil, soutenant par ailleurs fortement l’Ukraine (à hauteur de 100 Milliards) mais peu diserte sur les conséquences de l’élargissement de l’Union pourtant en cours de négociation.