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Points de vue

Temps de lecture : 4 min

08/10/2021

La proposition de loi visant à contrôler les sociétés possédant ou exploitant du foncier agricole devant le Sénat

Selon toute vraisemblance, la proposition de loi du député Jean-Bernard SEMPASTOUS visant à instaurer un nouveau dispositif de régulation du marché des parts des sociétés agricoles devrait franchir les portes du Palais du Luxembourg d’ici la fin de l’année civile. Le sénateur Olivier RIETMANN a été désigné le 29 septembre dernier rapporteur de cette loi sur le « Foncier agricole » pour la commission des Affaires économiques.

Tant que la loi n’a pas été promulguée au Journal officiel, on se gardera de se livrer, – le diable se cachant parait-il dans les détails-, à l’exercice analytique d’un texte dont la teneur est susceptible d’être, ici ou là, amendée (les cessions intrafamiliales seront-elles en définitive dans le collimateur ?). On ne reviendra pas non plus sur le choix politique qui a été fait de placer les SAFER au cœur de la régulation sociétaire au détriment des commissions départementales d’orientation agricole (CDOA) pourtant en charge du contrôle des structures, même si la décision, in fine, autorisant ou non l’opération sociétaire devrait revenir au Préfet. « Devrait » car il n’a échappé à personne que le nouveau diptyque – « la SAFER instruit mais le Préfet décide » -, s’accompagne ici, d’une importante exception qui pourrait vite devenir sur le plancher des vaches (immeubles par destination) préalablement transformées en parts sociales (biens meubles incorporels) la règle : « sauf si la SAFER accepte de servir d’intermédiaire ». La personne morale ou physique qui envisagera de s’agrandir au-delà d’un seuil jugé significatif (à définir localement, entre 1 et 3 fois la surface agricole utile régionale moyenne) en prenant le contrôle d’une société sera confrontée à un choix. Accepter de céder une surface compensatoire en vendant ou en louant des parcelles (toujours par l’intermédiaire de la SAFER) ou négocier avec l’opérateur foncier l’agrandissement projeté. Certains crieront au conflit d’intérêts de l’office foncier qui sera tour à tour à l’instruction et potentiellement à la réception des dossiers de vente ou de location. D’autres souligneront que c’est un moindre mal : puisqu’une régulation est nécessaire, mieux vaut encore un interlocuteur comme la SAFER, dépositaire de l’intérêt général, mais constituée sous forme de société anonyme de droit privé, pragmatique, prenant des commissions sur les transactions à défaut de recettes fiscales, et ouverte à la discussion…. Après tout, quoi de mieux pour éviter le Préfet que de solliciter les services de la SAFER… Comme le clame le Président de la FNSAFER, Emmanuel HYEST, « La SAFER n’empêche pas, elle permet ! » (La France agricole, 10 juin 2021). Car au fond, la vraie question n’était-elle pas ailleurs : pourquoi faut-il mettre en place une régulation sur le marché des parts de sociétés agricoles ?

Les objectifs de cette troisième jambe de l’ordre public rural étatique (à côté donc des SAFER et du contrôle des structures) se dévoilent à la lecture ce qui devrait être le nouvel article L. 333-1 du code rural lui-même inséré au sein d’un nouveau chapitre intitulé : « Contrôle des sociétés possédant ou exploitant du foncier agricole ». On y retrouve sans surprise les mêmes finalités qui irriguent, presque depuis Rome, toute politique foncière et même toute réforme agraire : favoriser l’installation en agriculture, éviter que les gros ne mangent les petits, répartir la terre entre le plus grand nombre et lutter contre la spéculation foncière. De manière toutefois plus moderne, période de crise sanitaire oblige, on notera que le législateur y ajoute un brin emphatique un appel, quelque peu sibyllin, à la défense de la souveraineté alimentaire de la France. A moins de plaider pour un libéralisme échevelé, il est difficile de contester à l’Etat français le souci de se doter d’instruments de régulation sur les questions foncières agricoles qui relèvent indubitablement de l’intérêt général. Chacun se remémorera la citation célèbre de Lacordaire : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». Néanmoins, ce nouveau dispositif appelle, nous semble-t-il, trois séries d’observations.

En premier lieu, si l’Etat éprouve la nécessité de se doter de nouveaux leviers, c’est que ceux existants se sont révélés défaillants. Et il faut bien reconnaître que le droit rural butte depuis trop longtemps sur le droit des sociétés. L’idée d’une préemption de la SAFER sur des cessions partielles de parts sociales heurte violemment l’affectio societatis des sociétés de personnes pour être tenable (imagine-t-on un associé imposé par une SAFER ?). Le contrôle des structures s’est révélé impuissant à soumettre à autorisation d’exploiter les prises de participation financière par une société au sein d’une autre société (montage type holding) dès lors qu’une personne « morale » souffre d’une infirmité « physique » à participer « directement et effectivement aux travaux agricoles ». L’idée d’un agrément administratif, défendu par nombres d’observateurs, qui est ici retenue par la proposition de la loi paraît plus soft et en définitive plus respectueuse des intérêts en présence. Elle a même reçu l’onction préalable du Conseil d’Etat. Simplement, le fait que l’Etat préfère s’en remettre aux services de la SAFER plutôt qu’à ceux de la DDT acte la faillite du contrôle des structures et préfigure à terme une probable fusion-absorption de Big Brother par Big Mother.

En second lieu, l’enjeu de la régulation devrait être débattue à l’aune des nouvelles réalités sociales et économiques agricoles. Or, le malheur de ce type de législation interventionniste est d’arriver à maturité techniquement à l’heure où sa légitimité a tragiquement décru. Comment répartir la terre entre le plus grand nombre lorsque la taille des exploitations ne fait qu’augmenter et que la population des actifs agricoles ne cesse de diminuer ?  De ce point de vue, le fossé se creuse, année après année, entre ce droit impératif et les faits. Faut-il pour autant que l’Etat occulte ce sujet ? Entre le droit et les faits, c’est un peu l’éternelle histoire de la poule et de l’œuf. Les thuriféraires de la liberté hurleront qu’il serait préférable de renoncer car la régulation sur une coquille vide prend les traits d’une administration kafkaïenne devenue étouffante pour les agriculteurs qui courageusement restent… ; les laudateurs de la structuration agricole vociféreront qu’il est nécessaire d’agir car c’est l’absence de droit qui a conduit à cet état de fait. Mais si l’enjeu véritable est celui du renouvellement des générations en agriculture, si l’urgence est d’inverser la courbe des actifs agricoles, ne faut-il pas songer à d’autres réformes comme celle portant sur le statut du fermage (75 %de la SAU est exploitée en faire valoir indirect) qui interdit toujours à un preneur partant de céder son droit au bail à une personne extérieure à la famille à moins d’obtenir l’accord de l’intégralité de ses bailleurs pour résilier les baux en cours et en conclure de nouveaux. Qu’un seul être vous manque et c’est l’exploitation qui risque d’être démantelée.

Enfin et surtout, la proposition de loi ne passe-t-elle pas à côté des autres enjeux de la politique foncière agricole du XXIème siècle ? Pour des raisons principalement liées à l’environnement et à la santé publique, la société appelle de ses vœux une préservation des sols agricoles en quantité (lutte contre l’artificialisation des sols) et en qualité (contrôle de l’usage des sols). Elle est sans doute prête à financer encore davantage les agriculteurs vertueux au détriment d’une agriculture intensive qu’elle rejette, peut-être un peu hâtivement, en bloc. En conservant le logiciel des débuts de la Vème République, le texte apparaît, de prime abord, quelque peu anachronique. Mais à lire entre les lignes, l’observateur attentif relèvera qu’au stade de l’instruction de la demande, la SAFER doit notamment apprécier si le projet est de nature à contribuer « au développement du territoire ou à la diversité de ses systèmes de production au regard, en particulier, des emplois créés et des performances économiques, sociales et environnementales qu’elle présente » (C. rur., art. L. 333-3). De même, est-il annoncé que les engagements du cahier des charges qui seront systématiquement joints à l’acte de cession de parts seront définis par décret en Conseil d’État…Il faudra attendre la partie réglementaire pour mesurer pleinement la portée culturale de la loi et attendre sa mise en œuvre par les SAFER elles-mêmes pour en apprécier les effets.