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Temps de lecture : 3 min

20/06/2025

Séminaire de restitution sur les nouveaux actifs agricoles : dépasser les clivages et assimiler les nouveaux entrants

Le 10 juin 2025, le ministère de l’agriculture et de la Souveraineté alimentaire avec l’appui du Centre d’études et de Prospectives (CEP) a organisé un séminaire présentant les résultats des travaux de recherche de l’Appel à projet consacré aux nouveaux actifs agricoles [1].  Les travaux présentés lors de ce séminaire ont démontré la très grande variété de profils et de parcours qui animent ces dernières années les mouvements d’installation de ces nouveaux agriculteurs, dont les orientations de la politique publique ont encore du mal à saisir les contours.

Caroline Mazaud chercheuse à l’ESA Angers dans l’unité LARESS est ainsi revenu sur l’étude AgriNovo [2] menée par les équipes de l’Ecole Supérieure d’Agronomie d’Angers (ESA) avec une nouvelle proposition d’analyse typologique des profils de ces récents installés. L’étude démontre qu’en dehors de la base des « héritiers » et des profils issus du monde agricole (56 % des installés dans la cohorte constituée), ce que l’on appelle plus communément les NIMA (non issus du milieu agricole) ne correspondent pas à un profil type tel qu’imaginé par la profession agricole. Ces reconvertis vers le secteur agricole, issus de tous types de classes sociales, se caractérisent par une forte mobilité dans les parcours de vie et de formation, avec des attaches plus ou moins forte avec le monde agricole. Les motivations à l’installation sont également un autre facteur déterminant dans le projet d’installation de ces différentes classes d’agriculteurs, parfois impulsées par une volonté de changement de vie et de volonté de transformation de la société, mais elles apparaissent en réalité davantage liées à une vocation patrimoniale et/ou entrepreneuriale.

Le projet RenouvAgri présenté par Daniele Inda, chercheur dans l’unité CESAER de l’Inrae de Bourgogne-Franche-Comté  était consacré à une étude sur le territoire de la Nièvre pour identifier les parcours sociaux menant à l’installation sur un territoire caractérisé par d’importantes difficultés dans le renouvellement des générations d’éleveurs. Il était intéressant de constater que malgré un parcours profondément ancré dans la socialisation du milieu agricole via notamment la scolarité et la formation professionnelle, le désenchantement et les contraintes du métier amenaient souvent ces récents installés à sortir définitivement du secteur.

Enfin, les résultats du projet Trajectoires de l’unité mixte de recherche LISST présentés par la chercheuse Adeline Bouvard de l’INP Purpan étaient centrés sur la compréhension de la logique d’installation dans le Quercy, où des dynamiques très contrastées ont été mises en lumière sur un même territoire, justifiés plus particulièrement par la forte hétérogénéité dans l’accès et la qualité du foncier. L’étude constate également la situation de fragilité économique et de sur-travaille dès le début de l’activité de nombreux installés.

La seconde partie de ce séminaire était consacré aux enjeux associés à ces nouveaux actifs identifiables. Simon Paye de l’unité 2L2S de l’université de Lorraine est ainsi revenu sur le projet AgriTempo qui traitait de la notion du temps de travail pour les agriculteurs sur un aspect sociologique.

Un enseignement majeur ici puisque l’on constate que cette notion apparait abstraite chez la majorité des agriculteurs interrogés, où l’entièreté du temps de vie semble être consacré aux tâches à réaliser sur l’exploitation. En remarque, la planification et la gestion entre temps de vie et temps de travail semblent seulement être introduits par les nouveaux profils d’installés comme les NIMA.

Geneviève Nguyen de l’équipe de François Purseigle à Purpan a abordé pour sa part le projet AgriDinamo pour mettre en perspective les mutations et la complexification dans l’organisation productive des exploitations, avec la tendance à l’agrandissement et à la constitution de fermes sous forme de firmes. Sous ce prisme d’analyse, l’un des freins à l’installation principalement repéré provient notamment de la difficulté dans le réalignement entre l’entreprise cédée et le projet initial du repreneur, dans un contexte économique où les marges de manœuvre sont réduites.

Enfin, le sociologue Gilles Laferté a conclu ces interventions en remettant en perspective la place des agriculteurs dans le cadre d’analyse de la sociologie en France. Celui-ci met en lumière que le monde agricole fait face à une repolarisation de son espace en trois groupes, où les représentants classiques de l’agriculture (syndicats et héritiers) qui dominaient l’espace d’expression du secteur agricole, allant jusqu’à imposer des termes dans le débat public et scientifique tels que NIMA ou HCF (hors cadre familial), côtoient désormais  des profils alternatifs issus de la bourgeoisie détenant des capitaux culturels et financiers, ainsi qu’une base plus populaire de profils récemment insérée dans le milieu agricole.

Dépasser les imageries collectives, aussi bien de celle du paysan d’Epinal gardien des paysages ou du “bobo néo-rural” très diplômé qui s’installe dans une micro-exploitation en agriculture biologique, telle est la conclusion que l’on peut tirer de ce séminaire. Mettre un terme au discours misérabiliste sur l’agriculture, décloisonner sa traditionnelle grille de lecture quant à l’appréciation des NIMA et des HCF, et sortir de cette forme d’endogamie sociale qui ne peut que desservir la dynamique de renouvellement du tissu des actifs agricoles et l’attractivité des métiers de l’agriculture, c’est la principale transformation que doit également mener la profession agricole à travers les enseignements de ce séminaire.

Et ceci pour continuer d’exister dans une société où il est définitivement difficile de classer “des inclassables” aussi divers, et dans une agriculture qui continuera peut-être d’exister sans agriculteurs [4], mais qui sera occupée par ce que l’on pourrait appeler – pour rester dans le déterminisme acronymique – des AANI, c’est à dire des “actifs agricoles non identifiés”.

 

 


Références :

[1] https://agriculture.gouv.fr/nouveaux-actifs-agricoles-5-rapports-de-recherche-pour-mieux-connaitre-les-neo-agriculteurs

[2] https://www.agridees.com/articles/enquete-esa-sur-les-profils-des-nouveaux-agriculteurs-bienvenue-dans-les-diversites/

[3] Laferté, G. (2021). Des revenus à la position sociale : reclasser les agriculteurs. Économie rurale, 378(4), 159-174.

[4] Hervieu, B., & Purseigle, F. (2022). Une agriculture sans agriculteur. Presses de Sciences Po.