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Temps de lecture : 4 min

13/11/2024

Gaspillage et précarité alimentaire

L’actualité est riche de réflexions, de publications et d’actions sur les sujets du gaspillage et de la précarité alimentaire qui s’accroit, pour toucher selon de récentes évaluations 10 % de la population française, plus de 13 % aux États-Unis.

Ainsi l’Académie d’Agriculture de France a consacré le 6 novembre 2024 la première d’une série de trois séances ayant pour thème « La précarité alimentaire : quelles politiques publiques ? ». Tandis que Pascale Hébel définissait la précarité alimentaire et les caractéristiques des populations qui en souffrent en se référant aux travaux de l’Observatoire des vulnérabilités alimentaires, Daniele Bianchi, Guy Debailleuil et Guillaume Garot ont passé en revue respectivement les politiques publiques de l’Union Européenne, des États-Unis et de la France en la matière. L’ampleur des moyens financiers publics que Washington consacre à l’aide alimentaire, 200 milliards de dollars, contraste avec les 670 millions d’euros de l’UE, dont la mise en œuvre est largement déléguée aux secteurs associatif et caritatif qui évitent pertes et gaspillage pour en faire des ressources pour alimenter l’aide alimentaire distribuée aux plus démunis. Sécurité sociale alimentaire, chèques alimentaires ou soutien accru aux réseaux associatifs et initiatives locales ? S’il est trop tôt pour se prononcer sur la nature de la meilleure option de politique publique, il est probable qu’il s’agira d’une combinaison de partenariats publics-privés pour s’attaquer au plus près au scandale de la précarité dans une société d’abondance.

De son côté, à l’occasion de la Journée Mondiale de l’Alimentation, le 16 octobre dernier, le Ministère de l’Agriculture de la Souveraineté alimentaire et de la Forêt a lancé une nouvelle campagne de sensibilisation auprès du grand public « Stop au gaspillage alimentaire ». Malgré les progrès qui ont été réalisés par les filières agroalimentaires depuis la promulgation de la loi Garot en 2016, le bilan reste sévère. En 2022, le Commissariat Général au Développement Durable (CGDD) évalue le gaspillage alimentaire à 4,3 millions de tonnes de produits qui auraient été consommables. Inquiétante vis-à-vis des émissions de gaz à effet de serre qui auraient pu être évitées, cette situation apparait inacceptable au regard de la progression de la précarité alimentaire.

En France, les 4 grands réseaux de l’aide alimentaire (Banques alimentaires, Secours populaire, Restos du cœur, Croix Rouge) ont servi en 2023 plus de 5,750 millions de bénéficiaires. Les différents modèles d’action de ces organisations reposent sur des réseaux de bénévoles, avec les relais d’associations et organisations caritatives, sur la générosité du public par les dons, sur la collecte de produits alimentaires auprès des acteurs des filières agroalimentaires, et sur le soutien financier public d’origine européenne, le FSE+ (Fonds Social Européen+) abondé par l’État. Ces organisations délivrent des repas, des paniers alimentaires, mais aussi un accompagnement social des populations précaires en matière de logement, d’emploi et d’insertion sociale. Ces modes d’actions expliquent que ces réseaux d’aide alimentaire soient fortement critiques à l’égard des projets de chèques alimentaires vers lesquelles seraient réorientés les financements publics. Ce serait en effet se priver d’un moyen de lutte contre les pertes et gaspillage, et en même temps de l’effet de levier financier permis grâce au bénévolat.

Toujours dans l’actualité, l’Institut Montaigne vient publier un rapport « Fracture alimentaire, maux communs, remède collectif » dans lequel le think tank établit un diagnostic alarmant sur la situation d’insécurité alimentaire qui concernerait un français sur trois, sur les conséquences en matière de santé et leurs externalités négatives évaluées à 125 milliards d’euros par an, et sur l’empreinte environnementale de l’alimentation. Pour remédier à cette situation le rapport fixe deux objectifs : lutter contre la précarité alimentaire, limiter l’expansion des déséquilibres alimentaires. Les propositions qui en découlent rappellent la nécessité de soutien des acteurs locaux, avec en particulier l’exonération de TVA pour les achats de denrées alimentaires par les associations habilitées à délivrer l’aide alimentaire (évaluée à 10 Millions d’euros de manque à gagner pour l’État), la facilitation d’achat de fruits et légumes, la poursuite des actions pour une restauration collective de qualité, la réduction des niveaux de consommation de sucre pour les enfants et les adolescents, l’action sur les imaginaires autour du plaisir d’une alimentation équilibrée, et l’encouragement de la consommation des fruits et légumes en créant un complément ciblé aux titres-restaurants des salariés. Hormis le sujet de l’exonération de TVA que les réseaux d’aide alimentaire appellent de leurs vœux, les propositions reposent sur une nouvelle taxation pour le sucre et les produits sucrés et l’application d’un taux de TVA de 20% pour ceux-ci, ces ressources nouvelles étant destinées à financer le chèque fruits et légumes. En liant les objectifs de réduction de la consommation de produits sucrés et celui de l’amélioration de l’accessibilité aux fruits et légumes, le rapport ne rentre pas dans l’étude d’impact d’une taxe comportementale dont on sait que l’efficacité limitée est subordonnée au niveau d’imposition, pas plus qu’il n’est fait mention des circuits de détail qui seraient habilités à accepter les chèques fruits et légumes dont une part est commercialisée en dehors de la grande distribution. En traitant de la fracture alimentaire, l’Institut Montaigne laisse ses lecteurs sur leur faim.

Approfondissant les constats de l’étude « Profils » de la Fédération française des Banques Alimentaires, et ceux de l’Observatoire de vulnérabilités alimentaires cité précédemment, l’association étudiante COP1 vient pour sa part de diffuser le baromètre annuel de la précarité étudiante dont la réalisation a été conçue en collaboration avec l’IFOP. De l’enquête effectuée au printemps 2024, il ressort notamment que 65% des répondants ont eu recours régulièrement (23%) ou fréquemment (42%) à l’aide alimentaire. Les étudiants bénéficiaires des actions de COP1 sont 60% à déclarer avoir dû sauter un repas par manque d’argent, quand cela concerne 36% de la population étudiante et 29% de l’ensemble des français.

 

Bernard Valluis, consultant, président de la Fédération Européenne des Banques Alimentaires (FEBA)