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08/12/2023

Union européenne : une autonomie stratégique ouverte à tous les vents ?

La situation de la sécurité alimentaire dans l’Union européenne a fait l’objet d’un document récent sous-titré « Une évaluation quantitative de l’approvisionnement alimentaire et de la sécurité alimentaire de l’UE dans le cadre de l’EFSCM (Mécanisme européen de préparation et de réponse aux crises de sécurité alimentaire)”. Cette courte étude présente des tableaux de synthèse de l’autosuffisance européenne des principales productions animales et végétales.

Si les secteurs de la pêche et de l’aquaculture sont très largement déficitaires, avec des taux d’autosuffisance respectivement de 39% et 37%, les secteurs de la production de volailles (+112%), de la viande porcine (+124%), de la viande bovine (+107%) sont très excédentaires, avec l’exception des secteurs ovins et caprins (+94%). Quant au secteur laitier, il est excédentaire sur tous les segments du beurre (+111%), de la poudre (+207%), des produits frais (+103%) et des fromages (+112%). Pour ce qui concerne les productions végétales, à l’exception du blé tendre (+130%) et de l’huile d’olive (+131%), les productions oléagineuses (+59%), protéagineuses (+80%), du sucre (+93%), des huiles végétales (+75%) et du maïs (+81%) sont toutes déficitaires. Enfin ce bilan sommaire pour les fruits et légumes ne fait apparaitre de déficits importants que pour les oranges (+93%) et les jus d’orange (+35%).

 

Proche de son terme, la Présidence espagnole du Conseil vient de publier « Resilient EU 2030 », un « non paper » qui se veut une contribution à une approche prospective pour renforcer l’autonomie stratégique ouverte de l’UE et son leadership global. Ce document a été élaboré en faisant appel aux expertises des États membres, de la Commission, du Conseil, des mondes académiques et professionnels. Il y est fait état de 323 dépendances commerciales de l’Union vis-à-vis de l’extérieur, sachant que l’agriculture se situe en tête en totalisant 37 familles de produits déficitaires, suivie par l’industrie chimique pour 27 produits dont certains sont des intrants essentiels de l’agriculture (engrais et produits de traitement). Pour schématiser, l’Union est totalement vulnérable dans deux secteurs principaux : les engrais et les protéines végétales destinées à l’alimentation animale.

 

L’ensemble de ces données ont pris toute leur actualité lors de la crise COVID et plus encore du fait des conséquences de l’invasion de l’Ukraine par les forces armées russes, en démontrant si nécessaire les incohérences de vision en matière de politique agricole, de politique commerciale et d’élargissement éventuel de l’Union.

La volonté de la Commission de négocier et de signer des accords commerciaux bilatéraux ou des accords de libre-échange se poursuit au mépris des conséquences économiques pour les secteurs agricoles et agroalimentaires déjà excédentaires, et ce déni pourrait provoquer des effets collatéraux plus graves encore dans l’éventualité d’un futur élargissement à dix nouveaux États membres. En effet les accords négociés par le passé s’appliqueront à une entité régionale dont les taux d’autosuffisance futurs ne sont pas pris en considération. D’ores et déjà, les agriculteurs européens subissent les ouvertures de leurs marchés excédentaires à des produits qui ne sont pas soumis aux même contraintes économiques, sociales, environnementales et réglementaires.

Par ailleurs la feuille de route qui devrait conduire l’UE à la neutralité carbone à l’horizon 2050, en forçant la réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture, tout en ouvrant ses marchés, ne fait que repousser dans les pays tiers les émissions des consommations alimentaires européennes.

Le concept d’autonomie stratégique ouverte dans le secteur agricole tend à se substituer à ceux de sécurité alimentaire ou de souveraineté alimentaire dans le vocabulaire des instances européennes avec le risque de privilégier l’ouverture au détriment de la réflexion stratégique. La réalité nouvelle d’un monde fracturé, de relations commerciales internationales en tensions, de conflits armés dans diverses régions, fait apparaitre chaque ouverture irraisonnée de marché comme autant de concessions de souveraineté et de risques futurs. Sans vision stratégique, l’oxymore d’autonomie ouverte fait courir le risque d’ouvrir les marchés européens à tous les vents, annonciateurs de futures tempêtes.