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Notes

Temps de lecture : 8 min

25/11/2024

Entrepreneuriat féminin en agriculture : libérer les potentiels !

En 2012, la Société des Agriculteurs de France (SAF), dont émane le think tank Agridées définissait les chefs d’entreprise agricole comme « stratèges, autonomes et innovants » et constatait que “se sentir libre d’entreprendre est tout aussi important que de décider des conditions de cette liberté”[1]. Imaginer, avoir envie, innover, prendre des risques, convaincre, communiquer, se former, partager, manager… sont des caractéristiques attribuées en général aux entrepreneurs. Qu’en est-il du côté des femmes, cheffes d’entreprise agricole ? Selon la dernière enquête de la MSA en 2024, la passion est indéniable pour 93 % de femmes en agriculture, mais cela suffit-il à les considérer comme des cheffes d’entreprise agricole ? Par ailleurs, seulement 19 % d’entre elles gèrent une exploitation seule (18,6 %) ou en cogestion féminine (0,4 %) [2]. Comment s’exprime leur autonomie dans les autres formules ? Enfin, si leur esprit d’entreprise saute aux yeux à la lecture des projets, souvent innovants, parfois atypiques, ne sont-ils pas trop originaux dans un monde agricole encore (trop) traditionnel ? Si l’on connaît leur courage, sont-elles audacieuses et ambitieuses ? Comment les aide-t-on ? Qu’est-ce qui coince ? Ces différentes interrogations ont justifié cette Note. Notre réflexion s’inscrit également dans un contexte de double tension : d’une part, l’enjeu social et sociétal que représente le renouvellement des générations en agriculture et, d’autre part, le glissement historique de l’agriculture familiale vers une agriculture plus entrepreneuriale…

 


[1] SAF agriculteurs de France, Changement d’attitude pour les agriculteurs: des chefs d’entreprise stratèges, autonomes et innovants, juin 2012

[2] Agreste, mars 2024 – Portrait de femmes exploitantes dans l’agriculture française

Résumé

Face au défi du renouvellement des générations, le manque d’attractivité du métier de chef d’entreprise agricole, en particulier auprès des femmes et des jeunes, devient une question stratégique de souveraineté alimentaire. S’intéresser à la dynamique de l’entrepreneuriat féminin en agriculture se présente ainsi comme une opportunité d’y répondre. Encore à ses balbutiements, l’histoire des cheffes d’entreprise agricole doit être appréhendée au prisme de la mutation historique que connaît l’agriculture familiale vers une agriculture plus entrepreneuriale. C’est aussi celle d’une émancipation progressive du carcan sociétal et familial, dans un monde agricole où la famille et le travail sont encore étroitement associés. L’évolution des statuts sociaux, patrimoniaux et professionnels en représente la première étape. Pour autant, cette phase n’est pas terminée, en témoigne le statut imparfait de « conjointe collaboratrice ».

Derrière le chiffre de 26 % de cheffes d’exploitations et co-exploitantes se dessinent des trajectoires, des origines, des projets multiples et des lignes communes à l’ensemble des entrepreneures des autres secteurs : leur aspiration à trouver du sens à leur travail, leur passion, une certaine vision de la durabilité, l’importance d’une qualité de vie personnelle, une attention à préserver leur santé… À noter également, un niveau d’études plus élevé, la variété des expériences professionnelles et des modes de vie avant de s’installer, sont autant de marqueurs forts de leur soif d’entreprendre, d’apprendre et de progresser. Et puis, de plus en plus, une envie d’améliorer leur confort de travail en trouvant des solutions concrètes. Souffrant de l’inadaptation persistante des matériels en agroéquipement, des outils, des tenues de travail, elles n’ont de cesse de trouver des solutions organisationnelles, techniques, de diversifier leurs activités ou d’introduire de nouvelles pratiques dont bénéficie l’ensemble de leur collectif.

Cependant, force est de constater que la contribution féminine incontestable sur le terrain, se compte sur les doigts de la main dans les instances décisionnelles agricoles. Lente évolution des mentalités ? Poids trop lourd des stéréotypes de genre et des attendus traditionnels que ce soit au moment de l’enseignement, de l’installation, de la transmission, de l’accès aux financements et aux terres ou dans les collectifs ? Nous prenons en compte dans cette Note ces différentes interrogations.

Plus que les autres entrepreneures peut-être, les cheffes d’entreprise agricole sont exposées à des défis structurels et culturels encore très prégnants. Du fait de son émergence récente, l’entrepreneuriat féminin agricole doit de surcroît se doter, en même temps, de nombreuses compétences (culture financière, culture juridique, par exemple) ou d’appuis par un réseau professionnel qui ne font pas partie de l’arsenal pratique et théorique pour exercer leur activité primaire. Ce n’est pourtant qu’en élargissant leur palette de cheffe d’entreprise qu’elles pourront soulever et briser leur plafond de verre pour s’adapter aux enjeux durables, sociétaux et économiques de leur métier dans un environnement concurrentiel.

Libérer les potentiels féminins, c’est permettre que des cheffes d’entreprise stratèges, autonomes, innovantes, en responsabilité ne soient pas des exceptions ou à la marge du monde agricole. C’est aussi, pour le monde agricole, prendre un virage de marque employeur. Cela nécessite d’accepter, dans un premier temps, de faire un état des lieux, d’agréger des données, de créer de nouvelles datas, de les rendre publiques et de les utiliser comme indicateurs pour progresser. Cela nécessite ensuite une action simultanée : du côté des femmes cheffes – ou futures cheffes d’entreprise – mettre en place un accompagnement par la formation, le mentorat ou le coaching, mais aussi créer les conditions favorables à la mise en réseau et l’accès au collectif. Du côté des structures, il s’agit à la fois d’identifier les besoins, de les stimuler souvent, mais aussi de s’engager dans leur résolution. Nos propositions vont dans ce sens.

Nos propositions

  • Créer un observatoire de l’entrepreneuriat en agriculture avec des données genrées.
  •  Centraliser les informations sur tout ce qui concerne les femmes en agriculture, notamment des informations professionnelles, juridiques, économiques, de santé dont les sujets autour de la maternité, l’enseignement, la formation, les réseaux – sur un site qui leur est consacré ou dans une page dédiée et partagée dans tous les sites spécialisés agricoles.
  • Réunir les conditions pour que toutes les femmes cheffes d’entreprise en agriculture puissent prendre leurs congés de maternité.
  • Rendre obligatoire la publication annuelle d’un index d’égalité par les collectifs de gouvernance.
  • Créer un réseau de femmes cheffes d’entreprise agricole puissant ou encourager les agricultrices à intégrer des réseaux déjà existants non spécifiques au monde agricole, qui développent les thématiques de l’entrepreneuriat (finances, management, ressources humaines, juridique, foncier, leadership, confiance en soi…).