Site non disponible sur ce navigateur

Afin de bénéficier d'une expérience optimale nous vous invitons à consulter le site sur Chrome, Edge, Safari ou Mozilla Firefox.

Retour à la liste des contenus

Articles

Temps de lecture : 3 min

17/11/2025

Quand les réseaux sociaux reconfigurent les marchés agricoles

Les marchés agricoles sont en évolution permanente, marquée par l’entrecroisement de logiques économiques, climatiques, géopolitiques… et désormais numériques.

Les fondamentaux traditionnels – offre, demande, stocks, rendements… – ne suffisent plus à expliquer les fluctuations de prix de certaines matières premières. De nouveaux déterminants, immatériels mais puissants, s’imposent : les réseaux sociaux et les influenceurs, sources de viralité numérique[1].

La viralité motrice de volatilité

Des contenus diffusés sur TikTok, Instagram ou YouTube suffisent parfois à modifier les équilibres mondiaux d’un produit. En quelques jours, une tendance culinaire ou un défi viral peuvent provoquer un afflux de demandes, créer des tensions d’approvisionnement, et renchérir les prix. Deux exemples ces derniers mois l’illustrent :

  • la pistache, dont les cours se sont envolés après le succès viral d’un chocolat à base de pâte de pistache ;
  • le matcha, dont la consommation mondiale a bondi sous l’effet d’une mise en scène visuelle du « latte Instagram ».

Entre 2023 et 2025, les prix de ces deux produits ont progressé respectivement de +44 % et +41 %. Ces hausses ne relèvent ni d’un choc climatique, ni d’une rupture logistique majeure, mais d’une demande amplifiée par la viralité numérique.

 

La « pistache de Dubaï », un emballement mondial

Fin 2023, une tablette de chocolat venue de Dubaï, la Dubai Chocolate, est devenue virale sur TikTok, totalisant plus de 120 millions de vues. Sa recette – crème de pistache et pâte de kataïfi – a séduit instantanément les consommateurs du monde entier. En quelques semaines, la demande mondiale de pistaches a explosé, alors même que la récolte américaine, pilier du marché, était en repli. Le prix de la livre est passée de 7,65 $ à 10,30 $. Les industriels, pris de court, ont reconnu ne pas avoir anticipé cet emballement : « It feels like it came out of nowhere » (« On dirait que c’est sorti de nulle part »), confiait un acteur du secteur au journal anglais The Guardian[2].

 

Matcha : la tension entre désir numérique et rareté physique

Autre produit, même logique : le thé vert matcha a connu une trajectoire fulgurante. Porté par la culture du « latte esthétique » sur Instagram et TikTok, le hashtag #matcha a cumulé des millions de vues et propulsé le produit au rang de symbole d’un mode de vie « healthy ». Aux États-Unis[3], le segment matcha a progressé de +86 % en trois ans[4]. Mais la production, fondée sur des procédés artisanaux (culture ombragée, récolte sélective, broyage lent), n’a pas réussir à suivre le rythme.

La viralité a ainsi révélé une tension structurelle : la désynchronisation entre la vitesse du numérique et la « lenteur » de la production agricole.

 

De nouveaux signaux de marché à intégrer

Pour les filières agricoles et agroalimentaires, ces épisodes ne sont pas anecdotiques : ils marquent l’entrée des marchés dans une ère d’hybridation entre économie réelle (où l’offre et la demande demeurent centrales) et économie de l’attention (avec des dynamiques d’image, de perception et d’influence).

 

Des signaux à manier avec prudence

Toutefois, il faut relativiser. Toutes les flambées de prix ne naissent pas d’une vidéo virale, et tous les buzz ne débouchent pas sur des tensions durables. La temporalité – rapide, émotionnelle, éphémère – des réseaux ne correspond pas à celle des filières agricoles classiques et structurées.

 

Vers une « tiktokinisation » des marchés agricoles ?

En conclusion, l’ère numérique a injecté un nouveau paramètre dans les marchés agricoles : la force des réseaux sociaux. Cette « tiktokinisation » des marchés interroge les stratégies de pilotage des entreprises agricoles et agroalimentaires. Les vidéos, les hashtags et les influenceurs ne se contentent plus de promouvoir des produits, ils peuvent « bouleverser » des chaînes de valeur entières et générer une volatilité qui échappe aux modèles classiques.

Au-delà de la simple mode, ces phénomènes explicitent la puissance de la consommation connectée. Certains produits (une culture fine comme le matcha, ou une noix à transformation comme la pistache) sont plus vulnérables que des productions comme le blé ou le soja. Les réseaux sociaux et les influenceurs ne se contentent plus de raconter les produits agricoles, ils peuvent les bousculer.

 


[1] Note flash « De l’impact des réseaux sociaux sur les matières premières agricoles », publiée en octobre 2025 par la Direction des études économiques d’Unigrains.

[2] TikTok trend for ‘Dubai chocolate’ causes international shortage of pistachios | Chocolate | The Guardian

[3] A matcha shortage is coming for social media’s latest obsession | Food Dive

[4] Matcha’s popularity risks causing shortages | Le Monde