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12/11/2024
Coordonner les stratégies de lutte contre la résistance aux antimicrobiens dans une approche One Health
La résistance aux antimicrobiens (antimicrobial resistance ou AMR) est un grave problème de santé publique. En effet, le nombre de décès directement attribués à l’AMR dans le monde est estimé à 1,27 millions[1]. En cette année 2024, la communauté scientifique internationale poursuit sa mobilisation, au-delà de l’univers de la santé humaine et dans une approche One Health.
La résistance aux antimicrobiens a fait l’objet d’un cycle de conférences dans le cadre du Sommet mondial du lait qui s’est tenu à Paris du 15 au 18 octobre 2024. L’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA) y a présenté certains engagements pris lors de la réunion de haut niveau sur l’AMR qui s’est tenue à l’Assemblée générale des Nations Unies le 26 septembre 2024 à New York. Les quatre organisations internationales impliquées dans One Health étaient réunies à cette occasion : OMSA, Organisation mondiale de la santé (OMS), Programme pour l’environnement des Nations Unies (PNUE) et Organisation onusienne pour l’agriculture et l’alimentation (FAO).
Les principaux engagements de l’OMSA[2] lors de cette réunion ont été les suivants :
- Tâcher de réduire sensiblement la quantité d’antimicrobiens utilisés à l’échelle mondiale dans le système alimentaire d’ici à 2030, notamment en investissant dans les santés animale et végétale pour prévenir et contrôler les infections, en réduisant l’utilisation inappropriée des antimicrobiens, en choisissant des solutions de remplacement et en renforçant les actions de surveillance ;
- Veiller à ce que les antimicrobiens soient utilisés chez les animaux et en agriculture « de manière prudente et responsable » et selon les règles du Codex Alimentarius;
- Veiller à ce que les stratégies de vaccination des animaux soient accompagnées d’un plan de mise en œuvre cohérent avec la liste des maladies prioritaires de l’OMSA, pour lesquelles la vaccination peut réduire les utilisations d’antimicrobiens.
Par ailleurs, aux Etats-Unis, les Académies de médecine, des sciences et des technologies, viennent de publier le compte-rendu[3] d’une réunion qui s’est tenue les 4 et 5 mars 2024 dans le cadre du Forum sur les menaces microbiennes qu’elles avaient organisé. Des experts de l’OMS, de plusieurs universités américaines et européennes et de l’industrie agroalimentaire y sont intervenus pour faire le point sur les défis et les stratégies engagées face à l’AMR, avec une approche One Health.
Le rôle de l’environnement dans la résistance aux antimicrobiens a été souligné. D’une part comme réservoir de gènes de résistance qui finissent par se retrouver dans les pathogènes et, d’autre part, car ces pathogènes sont transmis aux humains et aux animaux via l’environnement. C’est notamment le cas des bactéries fécales, présentes dans les eaux usées. Leur assainissement est donc essentiel.
La mise en cohérence des actions en santé humaine et animale a également été abordée. Il a été proposé de mettre en place un système commun pour mesurer la sensibilité aux antimicrobiens. On pourrait par exemple utiliser des valeurs seuils épidémiologiques[4] pour déterminer si un isolat bactérien spécifique a acquis une résistance, ce qui pourrait constituer des mesures comparables en santés humaines et animales.
Notons le retour d’expérience particulièrement intéressant de la société agroalimentaire Tyson Foods sur leur démarche de réduction d’utilisation d’antibiotiques dans leurs élevages de poulets de chair. Après avoir tenté d’éliminer totalement les antibiotiques en 2017, la société a en effet assoupli sa politique en 2023 en ne supprimant des élevages que les antibiotiques qui sont importants en médecine humaine. Les antibiotiques seulement autorisés en élevage ont été réintroduits, accompagnés d’actions de prévention : vaccination, pratiques d’hygiène et formation du personnel.
Plus généralement, les principales stratégies efficaces face à la résistance aux antimicrobiens évoquées lors du Forum sur les menaces microbiennes sont les suivantes : une surveillance efficace chez les humains, les animaux et l’environnement, de bonnes pratiques de nettoyage et d’hygiène des mains, un accès et une utilisation des antimicrobiens plus appropriés dans les pays à faibles et moyens revenus et, enfin, le développement d’antimicrobiens innovants élaborés par exemple à l’aide de l’intelligence artificielle, de partenariats public-privé ou de nouveaux financements.
Si dans une optique anthropocentrée il apparaît essentiel de freiner la résistance des agents pathogènes aux antimicrobiens, cela ne peut se faire au mépris de la santé des animaux ou de l’environnement. La mobilisation s’organise désormais au plus haut niveau politique international, où les experts des santés animales et environnementales semblent enfin entendus par leurs homologues de la santé humaine. Espérons que ces forces se coordonnent mieux également à des niveaux plus proches du terrain.
[1] Global burden of bacterial antimicrobial resistance in 2019: a systematic analysis (2022), The Lancet https://doi.org/10.1016/S0140-6736(21)02724-0
[2] Political declaration of the high-level meeting on antimicrobial resistance
[3] Assessing the Burden of and Potential Strategies to Address Antimicrobial Resistance (octobre 2024)
[4] Les seuils épidémiologiques sont les concentrations d’antibiotiques qui permettent de distinguer, pour chaque couple espèce bactérienne-antibiotique, les souches sensibles des souches devenues résistantes. Voir ANSES (2021) LNR Résistance antimicrobienne – Surveillance de l’antibiorésistance des bactéries zoonotiques et commensales isolées chez les animaux producteurs d’aliments et leurs denrées, bilan 2014-2020. Fougères et Ploufragan-Plouzané-Niort, Anses. 54 p.