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Temps de lecture : -8 min

01/10/2021

De l’autre côté du miroir

L’agriculture européenne est soumise à des législations sanitaires et environnementales qui pèsent sur sa compétitivité. Elle subit ainsi une concurrence des produits importés des pays tiers perçue comme déloyale dès lors que les mêmes restrictions et contraintes ne s’appliquent pas dans ces pays. Ainsi est née l’idée d’introduire des « clauses miroirs » dans les politiques commerciales de l’Union, tant au niveau des accords bilatéraux que dans le cadre multilatéral de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC).

De quoi s’agit-il ? Le dispositif d’une clause miroir permet l’importation des seuls produits agricoles respectant les mêmes conditions restrictives de production que celles auxquelles sont soumises les productions européennes analogues. En d’autres termes, il s’agit d’appliquer des mesures de protection non tarifaires aux importations en étendant pour celles-ci le respect des cahiers des charges des normes des productions européennes. Accueillie très favorablement par les milieux agricoles français, l’idée est séduisante, et la future présidence française de l’Union au premier semestre 2022 en a fait l’une de ses priorités. Pour réussir, il faudra parvenir à convaincre les 26 partenaires de la France, mais aussi la Commission pour porter cette proposition à l’OMC, et sur cette route les écueils sont nombreux.

 

L’idéologie libérale appliquée au commerce international est le premier d’entre eux, dans la mesure où de nombreux pays européens en sont les adeptes résolus, à commencer par l’Allemagne, les pays scandinaves ou le groupe de Visegrad. Le second écueil réside au sein même de la Commission, car la DG Trade soutient actuellement le projet de « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières » (MACF) pour le faire admettre par les instances multilatérales de l’OMC. Par ailleurs les accords Sanitaires et Phytosanitaires (SSP) ne laissent pas de place à des obstacles non tarifaires sur ces questions[1]. En caricaturant un peu, la Commission a déjà choisi pour sa politique commerciale de prioriser l’atténuation du changement climatique par rapport au sujet de la protection de l’environnement. Bien sûr, climat et environnement représentent des ensembles qui se recoupent du fait des interactions réciproques, mais à l’agenda international, c’est le sujet du climat qui a pris le pas.

 

Néanmoins, si le projet de clause miroir devait emporter l’approbation des instances européennes, qu’en serait-il hors de l’Union ?

 

L’acceptabilité d’une clause miroir par les partenaires commerciaux de l’UE est subordonnée à une condition essentielle : l’adoption par ces pays des normes européennes pour leurs productions agricoles pour obtenir l’accès au marché des 27. Mais du point de vue des pays-tiers, le miroir sera examiné par son autre face : en contrepartie de la politique environnementale ambitieuse de l’UE, les agriculteurs européens perçoivent des aides directes. Celles-ci conçues au départ comme des compensations des baisses de prix lors de l’abandon des organisations de marché qui assuraient des garanties de prix, sont devenues au fur et à mesure des réformes successives de la PAC les compensations des surcoûts de production du contrat des agriculteurs avec la société européenne. A partir de 2023, ces aides seront octroyées dans le cadre d’une éco conditionnalité renforcée. Aussi du point de vue des pays tiers, l’application d’une clause miroir placeraient à leur tour leurs agriculteurs non aidés en condition de concurrence déloyale. Ainsi le sujet d’une clause miroir est-il susceptible de rouvrir la boîte de Pandore des aides européennes, comme d’initier de nouvelles guerres commerciales dans l’hypothèse d’une application unilatérale d’un tel dispositif. Si d’aucuns considèrent qu’il est désormais possible de prendre des libertés avec les engagements de l’OMC au prétexte des négociations enlisées du cycle de Doha, ile feignent d’ignorer que l’instance genevoise est toujours en mesure de recevoir et d’instruire les plaintes introduites au titre des infractions aux accords en vigueur. Ainsi vues de l’autre côté du miroir, les clauses éponymes pourraient provoquer un effet de mise en abyme dont l’UE pâtirait.

 

Comment substituer à la clause miroir des dispositions acceptables ?

Le mécanisme d’ajustement carbone appliqué aux produits agricoles pose de nombreuses difficultés méthodologiques car il suppose un consensus international sur les normes comme c’est actuellement le cas pour le ciment et l’acier. Dans le meilleur des cas l’extension du MACF à l’agriculture ne pourrait se réaliser qu’à partir de 2035, mais il appartient entre temps au acteurs agricoles de devenir des acteurs dynamiques du marché du carbone et d’en retirer les revenus correspondants. La Commission européenne, quant à elle, s’en remet aux engagements volontaires des filières, en promouvant le « Code of Conduct on Responsible Food Business and Marketing Practices »[2] que le vice-président Frans Timmermans vient de présenter au Sommet de l’Alimentation des Nations Unies. C’est finalement le consommateur européen qui sera le juge de paix de ces engagements en choisissant les produits alléguant le respect de l’environnement et la lutte contre la déforestation. Toutefois  le prix compétitif des produits restera très certainement le premier facteur de choix pour les consommateurs disposant de revenus limités.

 

[1] Cf. declaration de Rupert Schlegelmilch lors du colloque Future of Food & Farming Summit’organisé par Politico le 24 septembre 2021.

[2] https://ec.europa.eu/food/horizontal-topics/farm-fork-strategy/sustainable-food-processing/code-conduct_fr