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21/01/2022

EGALIM 2 : jusqu’où la loi peut-elle décréter ?

Le 30 octobre 2018 paraissait la loi « pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire, et une alimentation saine, durable et accessible à tous »[1], dite loi EGALIM.

Cette loi concluait une longue séquence de débats économiques et sociétaux au sein des « États généraux de l’alimentation » en 2017, ponctuée par le discours du Président de la République à Rungis, le 11 octobre 2017, qui avait notamment évoqué le concept de souveraineté alimentaire, la nécessité du « juste prix payé » aux agriculteurs…mais aussi affirmé que « la solution n’est pas que dans une loi, mais aussi dans l’initiative prise par tous les acteurs ».

Le spectre de la loi EGALIM est très large et concerne tout autant l’évolution de l’alimentation proposée en restauration collective, la lutte contre le gaspillage alimentaire, des mesures en matière de bien-être animal ou relatives aux pesticides (dont la séparation du conseil et de la vente des produits phytosanitaires, ou la suppression des 3R) que des mesures-phares sur le fonctionnement des filières agricoles et de toute la chaîne alimentaire dans l’objectif notamment de conforter la rémunération des agriculteurs. A ce titre il faut souligner :

– en amont, l’inversion de la logique de construction des prix sur la base d’un contrat désormais proposé par les producteurs, comprenant des indicateurs de référence, et avec de meilleures possibilités de déclencher une clause de renégociation des contrats ;

– en aval, le relèvement de 10% du seuil de revente à perte, l’encadrement des promotions en valeur (34% du prix de vente), et en volume (25%), ainsi que la révision des textes sur les prix abusivement bas (les coopératives ne sont pas concernées).

Le 25 mars 2021, Serge PAPIN a remis au Ministre de l’Agriculture et de l’alimentation le  « Rapport de la mission de médiation et de conciliation concernant le bilan de la loi EGALIM et la nécessité de mieux rémunérer la chaîne de valeur agricole ». Ce bilan de la loi EGALIM, pour ce qui concerne sa partie consacrée à la construction des prix et aux relations des acteurs de la chaîne alimentaire, a montré la dynamique favorable de la loi mais aussi les faiblesses du cadre réglementaire et la difficulté des différents acteurs de co-construire une stratégie positive. C’est ainsi que le relèvement de 10% du seuil de revente à perte aurait généré une valeur estimée à 550 millions d’€, que les producteurs recherchent parfois encore… Le « ruissellement » n’a pas bien fonctionné. En conséquence le Rapport appelle notamment à l’obligation de contractualiser en amont, à sanctuariser ensuite la quote-part du prix relevant de la matière première agricole, et à tendre à davantage de transparence dans les relations commerciales.

La loi du 18 octobre 2021 « visant à protéger la rémunération des agriculteurs[2] », surnommée aussitôt EGALIM 2, portée par le député Grégory BESSON-MOREAU, a donc cherché à renforcer la position des producteurs et à fluidifier le fonctionnement des relations commerciales. Tout cela à un moment clé, à l’aube d’une nouvelle PAC en 2023 et à une période où la chaîne alimentaire a démontré sa résilience durant la pandémie de la COVID-19. Il s’agissait donc de la conforter, en outre à un moment politique où il n’est plus possible d’évoquer la souveraineté alimentaire sans la conjonction d’une rémunération correcte de la production agricole en période d’inflation renaissante.

En synthèse, cette nouvelle loi oblige désormais dans son principe, en amont, à la conclusion écrite et d’une durée pluriannuelle (3 ans) d’un contrat que les producteurs adresseront à leur premier acheteur ; les interprofessions devant publier des indicateurs relatifs notamment aux coûts de production qui y seront insérés. Une clause de révision automatique des prix est instaurée. Dans la suite de la chaîne, en aval, le fournisseur ou transformateur « sanctuarisera » dans ses conditions générales de vente la part de matière agricole au sein de son produit alimentaire qui deviendra non-négociable par son acheteur, distributeur ou acteur de la restauration hors foyer (RHF). Cela impose de fait une transparence dans les relations, par exemple entre transformateur et distributeur, avec trois options (transparence faisant figuré les différentes matières agricoles pour chaque produit alimentaire, ou agrégeant les matières agricoles par produit alimentaire, ou avec certification de la part globale des matières agricoles dans l’ensemble de la négociation). Une clause de renégociation des prix devra en outre être intégrée, concernant les autres sujets (emballages, logistiques…). A noter que pour les produits sous marque de distributeur (MDD), les industriels seront mieux protégés, avec notamment une clause d’engagement prévisionnel de volumes.

Il faut espérer ardemment la réussite de la loi EGALIM 2, complémentaire d’EGALIM 1, dans l’objectif d’une meilleure rémunération des entrepreneurs agricoles. Et de donner le signal de la valeur des produits agricoles et alimentaires.

Néanmoins il n’échappe à personne que cette loi ne concerne qu’une partie des produits (céréales et oléagineux, fruits et légumes frais, boissons alcoolisées sont par exemple hors champ) qui plus est avec des constructions de filière très différentes. Qu’elle ne s’impose qu’à une partie des acteurs (les grossistes ne sont pas concernés, au contraire désormais de la RHF aux côtés de la GMS), avec des canaux de distribution en nouvelle démultiplication. Et enfin qu’elle ne vaut que sur le seul territoire de la France dans un univers internationalisé. Bref il s’agit d’un nouvel effort pour sortir de la « totemisation » des relations conflictuelles au sein de la chaîne alimentaire française dont les agriculteurs sont souvent victimes, au prix d’une complexification du droit.

La loi peut beaucoup, mais elle peut difficilement décréter de façon universelle l’aptitude des acteurs à négocier et à co-construire, ou l’acceptation des consommateurs à payer un prix. Souhaitons développer en France ce qu’on appelle ailleurs en Europe une culture du compromis, plutôt que penser à un éventuel EGALIM 3.