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16/08/2021
F2F et Biodiversité à l’épreuve des simulations
En mai 2021, à l’occasion du premier anniversaire des communications de la Commission « Farm to Fork » (F2F) et Biodiversité, plusieurs organisations européennes, à l’instar du COPA-COGECA, déploraient l’absence d’études d’impact de cette feuille de route pour l’agriculture européenne.
A la suite d’une étude controversée du Service de Recherche Économique du Ministère américain de l’agriculture publiée fin 2020[1], les mêmes auteurs ont rédigé un article diffusé en juin 2021[2] pour présenter les résultats de simulations effectuées grâce à un modèle économique d’équilibre qui confirment les résultats précédents. Fin juillet 2021, à son tour, le Centre Commun de Recherche (JRC) de la Commission Européenne a rendu publics les résultats des scénarios de simulation[3] sur le modèle économique d’équilibre CAPRI[4] des contraintes formulées par les stratégies F2F et Biodiversité de la Commission.
Des deux côtés de l’Atlantique, les experts les ont résumées en termes quantitatifs de manière identique : réduction de l’usage des pesticides de 50%, réduction de l’usage des engrais de 20 %, réduction de l’usage des antibiotiques pour l’élevage de 50%, part de 25% des surfaces pour l’agriculture biologique, et 10% des surfaces agricoles consacrées à des cultures dérobées et de couverture. Enfin dans les deux cas, 2030 a été choisie comme l’horizon des simulations conformément aux objectifs du Pacte Vert.
Le modèle CAPRI vérifie que « les stratégies » permettent d’obtenir des bénéfices environnementaux significatifs exprimés en réduction des émissions de gaz à effet de serre (environ 30 %), des fuites de produits azotés et d’excédents de produits fertilisants. Mais en contrepartie, le modèle fait apparaître les conséquences négatives pour la production, le commerce, les prix et les revenus en comparant le scénario d’application des stratégies à un scénario de référence tendanciel. Les baisses de production sont évaluées à 15 % pour les céréales et les oléagineux, 12% pour les productions de légumes et cultures permanentes, 14 % pour les viandes et 10% pour la production laitière.
Par voie de conséquence, le modèle révèle une détérioration de la balance commerciale agricole : pour les céréales, cela se traduit par une augmentation des importations (+39 %) et une réduction des exportations (-38%) causée par la diminution des disponibilités et la perte de compétitivité ; pour les graines oléagineuses il y a accroissement des besoins d’importations vis-à-vis du Canada et de l’Ukraine dans la mesure où la baisse de production est plus forte que la diminution de la demande, tandis que la baisse des besoins en alimentation animale impacte les importations de tourteaux (Mercosur -18%, USA -35%, Russie -24%) ; pour les secteurs ovins et caprins, les besoins d’importation dépassent les quotas concédés (TRQ’s) à l’Australie, la Nouvelle Zélande et le Mercosur soit respectivement 185% et 150% ; il en est de même pour la viande bovine dont les importations représenteraient 203% de l’ensemble des TRQ’s ; les exportations de viande porcine seraient réduites de 77% ; le secteur laitier serait le seul à connaître une légère augmentation des exportations (+5 %).
L’ensemble de ces évolutions induiraient de fortes modifications de prix et de revenus. Le secteur céréalier verrait une diminution de revenus 8,6%, résultat d’une baisse des rendements (- 11%), d’un accroissement des prix (+ 8,2%) et d’une légère réduction des coûts (-1,6%). Les productions de légumes et de cultures permanentes seraient peu affectées : l’accroissement de prix (+15%) compenserait à peu près les baisses de rendement, mais l’augmentation des coûts pèserait sur les revenus (-5%). Pour l’élevage, les augmentations de prix seraient importantes, soit +24% pour la viande bovine provoquant une augmentation du revenu de +126%, +43% pour la viande porcine, +18% pour la volaille conduisant à des augmentations respectives de revenus de +129% et +83%.
Les résultats du modèle d’équilibre général utilisé par les économistes américains ne sont pas directement comparables dans la mesure où le scénario 2030 est évalué par rapport à la situation de 2020. Ainsi pour le blé et les céréales fourragères la production diminuerait respectivement de 48,6% et 20%, les prix augmenteraient de 71% et 96,3%, les exportations diminueraient de 82,4% et 34,2% tandis que les importations augmenteraient de 23% et 3,9%. Pour les graines oléagineuses, la baisse de la production serait de 60,7%, induisant une hausse des prix de 93,3%.
Globalement la production agricole européenne fléchirait de 11,5%, les prix augmenteraient de 17,5%, les exportations diminueraient de 20,1%, les importations augmentant de 2,2%. L’originalité du modèle utilisé réside dans la possibilité de chiffrer les conséquences économiques d’application des « stratégies » pour les États-Unis et le reste du monde qui seraient bénéficiaires en termes de production, de prix et de commerce.
Les modélisateurs européens et américains présentent respectivement leurs résultats en les accompagnant de nombreuses précautions quant à leur validité, et en notant que leurs outils ne peuvent rendre compte de la totalité des effets des stratégies européennes. Surtout les auteurs de l’étude du JRC préviennent qu’elle ne saurait représenter une étude d’impact de « F2F et Biodiversité ». Globalement, la déclinaison du Pacte Vert à l’agriculture aura des effets sur l’économie agricole européenne mais également sur la sécurité alimentaire mondiale : d’autres devront produire ce que l’Europe aura choisi de réduire. En ce sens le rapport IDDRI-INRAe[5], déjà cité dans des articles[6], ne saurait apporter une solution à la sécurité alimentaire, tant il repose sur une hypothèse forte de changements des comportements alimentaires.
Avant de mettre en œuvre la PAC en 2023, dont les Plans Stratégiques Nationaux doivent intégrer les objectifs des « Stratégies » exposées en 2020, la Commission Européenne doit, de manière désormais urgente, diligenter l’étude d’impact qui fait aujourd’hui défaut, quitte à amender ses propositions à la lumière de ces conclusions.
[1] https://www.ers.usda.gov/webdocs/publications/99741/eb-30.pdf?v=5435.9
[2] https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/aepp.13176
[3] https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/65064349-f0dd-11eb-a71c-01aa75ed71a1/language-en#
[4] Common Agricultural Policy Regionalized Impact
[5] https://www.iddri.org/sites/default/files/PDF/Publications/Catalogue%20Iddri/Etude/202107-ST0821_TYFA%20World.pdf
[6] Le Climat fait loi, Bernard Valluis, 26 juillet 2021 : https://www.agridees.com/analyses/le-climat-fait-loi/