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24/10/2024
Les signaux faibles liés à la hausse des défaillances des entreprises agricoles
La dernière étude sur les défaillances d’entreprises diffusée par le cabinet Altares, en lien avec les données publiées par la Banque de France via l’Observatoire des entreprises, confirment le relèvement significatif des défaillances d’entreprises, dépassant son plus haut niveau sur ces 15 dernières années (66 000 défaillances en cumul sur un an au mois de septembre 2024 d’après l’étude Altares).
Les entreprises agricoles sont également concernées par ce mouvement de hausse des défaillances, avec 241 entreprises agricoles concernées par une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire au troisième trimestre 2024. Entre septembre 2023 et septembre 2024, ce sont plus de 1393 entreprises du secteur agricole et forestier[1] qui ont basculé en état de défaillance, rejoignant ainsi progressivement un niveau proche de la période pré-covid.
Cette situation traduit un état de fragilité financière croissant dans certaines filières et sur des territoires localisés, plus particulièrement dans les secteurs viticole et de l’élevage laitier, où les difficultés structurelles de la filière (déséquilibre de l’offre et de la demande en vins) et des mouvements de restructuration (réduction de la collecte par des opérateurs majeurs, fermeture de sites de production) tendent à faire basculer des structures, le plus souvent déjà en situation de difficulté, dans des procédures collectives.
Dans le même temps, la hausse structurelle de l’endettement dans le secteur agricole contribue également à accentuer ces difficultés. Le montant des crédits mobilisés par les entreprises du secteur agricole a connu une très forte impulsion lors de la crise sanitaire de 2020, jusqu’à atteindre plus de 67 milliards d’euros à la fin du premier semestre 2024, soit 13 milliards de crédits supplémentaires mobilisés en l’espace de quatre ans[2]. A titre de comparaison entre 2012 et 2018, un peu plus de 10 milliards d’euros de crédits « seulement » avaient été engagés par le secteur agricole.
Certes, les conditions d’accès au financement sur cette période étaient très différentes avec davantage de restriction sur l’octroi de crédits et des taux d’intérêt élevés, auxquelles se sont ajoutés plusieurs crises sectorielles majeures (fin des quotas laitiers et crise de surproduction, crise de la filière porcine avec l’embargo russe, fin des quotas sucriers). Le prolongement de la politique monétaire accommodante de la Banque Centrale Européenne via des taux d’intérêt directeur à 0%, associé au quantitative easing pour soutenir les économies européennes, ainsi que le regain de croissance économique observé dans l’hexagone entre 2017 et 2019, ont été des éléments favorables pour activer l’effet de levier financer des exploitations agricoles, et ceci avant la crise sanitaire de 2020.
La crise sanitaire de la Covid-19 ainsi que les impacts inflationnistes de la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine ont amené les pouvoirs publics à mettre en place des dispositifs de prêt garantis par l’Etat pour les entreprises (PGE puis PGE Résilience) afin, d’une part, de pallier l’arrêt de l’activité économique induit par le confinement et, d’autre part, de soutenir les opérateurs économiques face à la hausse succincte du coût de l’énergie et des difficultés d’approvisionnement liées au conflit en Ukraine.
Le Conseil d’analyse économique[3] (CAE) et les analystes de la Banque de France[4] ont récemment mis en lumière que si la majorité de ces prêts était en mesure d’être remboursée, de sérieux doutes étaient émis quant aux capacités de remboursement des entreprises déjà fragiles avant la survenance de la crise sanitaire et de l’inflation (soit environ 7,5 % du total des entreprises ayant mobilisés les différents PGE), et compte tenu du retournement de la conjoncture économique avec un risque de défaut pesant sur 4 % des encours mobilisés et qui pourraient doubler au regard de la dégradation de la capacité d’autofinancement des entreprises concernées.
Si le secteur agricole ne représente qu’un peu plus de 3 % des entreprises ayant mobilisé ces dispositifs (et un peu plus de 1 % des montants empruntés), le niveaux d’endettement structurellement très élevé des exploitations agricoles françaises – plus de 40 % en moyenne par rapport au total de leur actif[5] – couplé à l’envolée des encours bancaires du secteur et aux réticences de plus en plus forte des acteurs bancaires finançant historiquement les agriculteurs interrogent sur la solvabilité financière des structures. Et ceci d’autant plus dans un contexte de retournement général de l’économie nationale et du choc fiscal en préparation dans le cadre de l’élaboration du projet de loi de finances 2025.
La mise en place cet été pour le secteur viticole d’un dispositif de prêt bonifié à 2,5 % pour aider les entreprises viticoles à rembourser leur PGE – dispositif qu’une partie du syndicalisme agricole souhaiterait voir étendu à tous les secteurs agricoles – illustre les difficultés rencontrées par une partie non négligeable des agriculteurs à faire face aux prochaines échéances financières. Les agriculteurs doivent donc être particulièrement attentifs et prudents quant au pilotage stratégique à venir de leur entreprise, au regard des conditions macroéconomiques et financières destinées à se durcir, et dans un contexte où les marges de manœuvre apparaissent toujours plus resserrées face aux impératifs de transition et de compétitivité.
[1] https://webstat.banque-france.fr/fr/catalogue/diren/DIREN.M.FR.DE.UL.DF.03.N.AZ.TT
[2] https://webstat-homologation.banque-france.fr/fr/catalogue/diren/DIREN.M.FR.CR.LME.ME.01.N.AZ.TT
[3] https://www.cae-eco.fr/pret-garanti-par-letat-les-entreprises-pourront-elles-rembourser-un-eclairage-a-la-mi-2024#:~:text=Le%20PGE%2C%20mis%20en%20place,fin%20le%2030%20juin%202022.
[4] https://www.banque-france.fr/fr/publications-et-statistiques/publications/prets-garantis-par-letat-quels-choix-de-remboursement
[5] https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/download/publication/publie/GraFra2023Chap5.4/GraFra2023_resultats-des-exploitations.pdf