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Temps de lecture : 3 min

23/02/2022

Marchés : L’amer Noire ?

Les échanges de produits agricoles et alimentaires ont toujours représenté un élément constitutif de la géopolitique et de ses rapports de force intrinsèques. Quand on le peut, avec des territoires propices et les compétences associées, la souveraineté alimentaire ne se délègue pas. En outre quand on le veut, les échanges commerciaux constituent un puissant facteur de stabilité. Souhaitons qu’autour de la mer Noire, il ne s’agisse pas d’une profonde volonté d’instabilité.

Pour une céréale névralgique comme le blé tendre, la « mer Noire » est devenue en un peu plus d’une décennie la principale zone de production ou de convergence de production pour répondre à un appétit mondial croissant. Selon FranceAgriMer, pour cette campagne 2021/22, la Russie devrait en exporter environ 34 millions de tonnes (MT) sur un total mondial d’exportation estimé à 189 MT et conserverait aisément sa place de leader mondial, devant l’Union Européenne (qui dispose également d’une composante mer Noire avec la Roumanie et la Bulgarie) à plus de 30 MT et l’Ukraine en troisième position à 24,5 MT. Les aléas climatiques, positifs ou négatifs, peuvent replacer différemment dans cette hiérarchie les exportateurs traditionnels tels les États-Unis, l’Australie ou le Canada, selon les années. Mais la mer Noire est devenue le premier centre mondial d’expédition de blé, à proximité d’acheteurs clés.

Ce retour fulgurant au premier plan, en relation avec une situation qui prévalait il y a plus d’un siècle dans un ordre du monde différent, repose sur une volonté politique stratégique. L’organisation, la technique, les financements, les investissements ont participé à récréer des filières à partir d’un potentiel territorial et peut-être désormais climatique. La vision du marché est tout aussi « structurée ». La Russie a ainsi mis en place un quota et des taxes à l’exportation sur le blé. Il faut néanmoins savoir que d’autres pays dans le passé ont eu recours aux mêmes instruments pour protéger la fluidité de leur marché intérieur. La région de la mer Noire a aussi développé de façon importante la production de graines oléagineuses (colza/tournesol) et de maïs dont l’Ukraine est un exportateur majeur. Mais le blé qui nourrit directement les populations tient une place particulière dans les équilibres régionaux.

Ainsi l’Egypte, qui est le premier importateur mondial de blé tendre avec environ 12 MT par an, achète sur les marchés à parité soit par un organisme public soit par des importateurs privés. Dans le second cas Ukraine et Russie forment à ce stade un quasi duopole. Dans le premier cas la Roumanie très présente en début de campagne joue un rôle, toujours avec le duo Russie/Ukraine. Les mêmes sont désormais bien présents au Maghreb, et bien sûr dans de nombreux autres pays plus éloignés de l’Europe.

Le grave conflit actuel entre la Russie et l’Ukraine entraînerait, et entraîne déjà des hausses de prix, ainsi que des frictions sur les allocations d’origine. Pourquoi pas à terme des conséquences sur les volumes, dans un scénario catastrophe qui ne peut être totalement écarté et qui doit donner à réfléchir.

Qu’en pense-t-on en Europe et en France ?

En France durant cette campagne électorale, il est des candidats qui pensent qu’exporter du blé, une « matière première », relève de la politique d’un pays en voie de développement. Il faudrait mieux « créer de la valeur ajoutée » puis l’exporter. Quelle terrible double erreur. D’abord un grain de blé n’est pas une matière première, allez dire le contraire aux agriculteurs ! C’est le fruit d’un processus de production, d’un savoir-faire et de l’utilisation de techniques. C’est en soi de la technologie. Ensuite la valeur dans la chaîne tient avant tout à connaître et répondre aux demandes des clients consommateurs. Les Égyptiens n’achèteront pas de biscuits bretons, les Chinois font du pain-vapeur ou de multiples nouilles, le Moyen-Orient des galettes…Il faut plutôt démontrer à ces pays comment les blés français sont adaptés aux usages. Il n’y a pas à opposer produits agricoles et produits alimentaires, un grand pays sait exporter les deux.

Candidats, dont l’étymologie veut dire blanc, pur, et donne aussi candide… L’amer Blanc ?

Quant à l’Europe, qui n’est pas une île, il serait bon qu’au concept de souveraineté alimentaire qui a ses justifications, elle ajoute celui de sécurité alimentaire qui intègre les enjeux géopolitiques collectifs, et la place avec ses responsabilités sur l’échiquier international.