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Temps de lecture : 10 min

27/09/2017

Contractualisation vs contrat : passer de la sémantique de la contractualisation à la pratique du contrat

Le contenu de la politique agricole commune évolue régulièrement. Certaines réformes sont emblématiques de profondes modifications, telle celle de 2003 qui a consacré le découplage total et posé les bases de la fin de la régulation et de la gestion des marchés.

 

Résumé

Devant des essais infructueux pour répondre à des crises conjoncturelles sur les marchés agricoles, la loi de modernisation de l’agriculture du 27 juillet 2010 a tenté de renouveler la « contractualisation », pour la vente de produits, conçue en 1964 comme instrument de fixation du revenu du producteur et de sécurisation des approvisionnements, et transformée en outil de stabilisation et de prévisibilité ; ensuite, le règlement européen 1308/2013 du 17 décembre 2013, dit « OCM unique », a fait de même, la contractualisation étant considérée comme instrument de régulation des marchés agricoles. Ainsi, la contractualisation s’est progressivement positionnée comme un substitut aux organisations communes des marchés agricoles (OCM) par produit.

Aujourd’hui, et avec le recul de plusieurs années d’expériences, quel bilan en faire ?

La contractualisation a, parmi ses définitions, celle du règlement d’un problème par un contrat. Effectivement, c’est ce qui semble avoir été tenté en 2010 pour le lait de vache et les fruits et légumes. Certes, la priorité à la mise en place de contrats-type a été donnée aux interprofessions ; mais, in fine, ce sont les Pouvoirs publics qui ont rendu la démarche obligatoire, défini les contenus et les durées des contrats et décidé que l’acheteur en avait l’obligation de proposition sous peine de sanction. Alors que l’organisation des marchés agricoles était régulée par les politiques publiques européenne et nationale, les Pouvoirs publics poursuivent leur interventionnisme au travers de la contractualisation pour la vente de produits. Et, que cette dernière se fasse avec un producteur ou une organisation de producteurs, la différence reste peu probante, à défaut tout du moins de possibilité de négociation collective sans transfert de propriété.

Le 14 septembre 2010, Bruno Le Maire, alors ministre de l’agriculture, déclarait que « seuls les contrats permettront de stabiliser les revenus des producteurs ». Cette affirmation nous semble porter en germe des explications aux échecs de la « contractualisation ».

La démarche de contractualiser pour la vente de produits est ancienne sur les marchés agricoles et a fait preuve de son efficacité. De nombreuses interprofessions regroupant les acteurs de filières autour de signes de qualité ou d’appellations, ou de filières industrielles très courtes (sucre, légumes transformés) savent mettre en place, gérer, faire évoluer les contrats entre amont et aval. Dans ces cas, les divers maillons des filières partagent les mêmes réflexions en matière de marché final, de sa valorisation, de son importance qualitative et de ses références.

Aujourd’hui, il faut prendre pleinement en compte les réalités de la PAC. C’est désormais du marché que les producteurs doivent tirer leur revenu. Ceci revient à dire que désormais l’agriculteur – producteur – se trouve en position de chef d’entreprise. Pour gérer cette entreprise, la protéger de risques de marché, le contrat est utile, voire indispensable. Mais, il n’est pas une assurance de stabilisation du revenu, tout au plus un outil d’optimisation de la valeur ajoutée de l’entreprise et de prévisibilité lorsque l’accord est pluriannuel.

Ainsi, même s’il est négocié collectivement, le contrat de vente de produits agricoles doit s’apprécier comme outil de gestion pour les producteurs leur permettant non de subir mais de décider. Nous voyons là la position responsable que doit prendre le secteur de la production dans les filières, place que l’aval a intérêt à reconnaitre aux producteurs pour leur permettre d’être de vrais acteurs. La période de l’interventionnisme public est révolue : place à la mise en responsabilité des maillons des filières agricoles.

Pour ce faire, chacun se doit de partager une connaissance, une appréciation des marchés finaux. Les informations montantes et descendantes, ceci entre acteurs ou dans les interprofessions autour des produits bien définis, permettent à chacun de savoir, de se positionner, d’assumer sa responsabilité en connaissance de cause. Le succès est au bout de cette démarche.

Connaitre et appréhender le marché final, c’est comprendre les concurrences et les forces en présence, être capable d’avoir des références et des données, notamment sur le niveau des prix et le comportement de la demande, comprendre la part de chacun dans la valeur finale. Les succès dans certaines filières vitivinicoles ou fromagères, dans la filière sucre en sont des exemples. Sans ce travail et l’implication des acteurs, il n’y a pas de contrats possibles car, dans leur conclusion qui est basée sur l’assentiment de chacune des parties, il faut que principalement le prix ou sa référence soient pleinement compris et acceptés par le producteur en contrepartie des engagements qualitatifs et quantitatifs qu’il assume. Une notion d’équilibre que viennent conforter les nouvelles dispositions du Code civil issues de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

L’examen des expériences nous montre que les clés d’une contractualisation pour vente de produits, réussie avec des contrats satisfaisants pour chacune des parties, imposent la mobilisation, l’échange, l’intérêt et le respect de tous les acteurs autour d’un marché final bien appréhendé, cerné, apprécié dans ses composantes. L’interprofession aurait une légitimité à être un lieu adéquat pour déterminer les contours et modalités de contrats-type, mais encore faut-il que les acteurs parlent de marchés et de produits identifiés vers lesquels sont valorisés les productions agricoles : ceci implique que l’interprofession soit un lieu où l’on parle et échange sur des produits et des marchés avec un objectif commun de valorisation et de conquête, dans un esprit de confiance et de reconnaissance du rôle de l’autre, non une instance politico-publique où s’affrontent des positions d’organisations professionnelles. Le contrat pour le producteur est un outil pour la résilience et le développement de son entreprise, pour l’aider dans ses choix de productions. C’est la raison pour laquelle il nous semble que le contrat doit pouvoir de façon simple et souple s’établir entre deux parties consentantes, l’une comme l’autre pouvant être à l’origine de la démarche.

Dans cet esprit, la signature de contrats de vente entre producteurs et acheteurs est à encourager, à valoriser et à développer : il faut effectivement que le cadre général soit établi et que les parties arrivent à leur assentiment à partir de « figures imposées » dont bien évidemment le prix, ou sa référence qui doit être fiable, transparente et consultable. D’ailleurs, pourquoi ne pas réfléchir à des incitations à la signature de contrats dont le secteur ovin est un exemple.

La spécificité coopérative, autre exemple de construction contractuelle, peut mettre en valeur la force et l’intérêt des contrats en favorisant le regroupement de l’offre et la structuration des marchés ; toutefois, le modèle n’est cohérent dans sa relation amont/aval qu’en fixant de la valeur au produit.

La notion de contractualisation issue des lois de modernisation et d’avenir pour l’agriculture ne s’applique qu’aux contrats de vente de produits agricoles. Quand nous parlons de « contrats » considérés comme outils de gestion pour le producteur chef d’entreprise, les avantages apportés par le « contrat » s’entendent aussi au travers de contrats de services qui participent également à la résilience de l’exploitation.