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3 questions à

Temps de lecture : 4 min

14/01/2022

Agnès Poirier

Il y a tout juste un an, le Documentaire ‘Nous, Paysans’ réunissait plus de 5 millions de téléspectateurs sur France 2 autour de l’histoire de la grande mutation de l’agriculture du 20ème siècle.

Agnès Poirier, co-réalisatrice de ‘Nous, Paysans’ et fille d’agriculteurs a réalisé un deuxième documentaire diffusé à la suite, intitulé « l’Installation » qui raconte la transmission d’une ferme laitière en Centre -Bretagne à deux citadines non issues du monde agricole.

Elle répond à nos 3 questions.

1/ Agnès Poirier, votre documentaire parle dune rencontre et de ladéquation entre les attentes de deux agricultrices en devenir et dun cédant qui a muri son projet de transmission. Quel a été votre moteur pour aborder ce sujet ?

Je suis depuis toujours sensible à la question de la transmission. Parce que je suis concernée !

En 1994, j’ai filmé « La dernière moisson » de mes parents. Aucun de nous, aucun de mes frères et sœurs, ni moi, n’avons souhaité reprendre la ferme. Les terres sont parties « à l’agrandissement » comme on dit. On sent une inquiétude de plus en plus grande dans le monde rural autour de cette question. A juste titre ! J’avais envie de raconter ce moment-là très particulier de la vie d’une agricultrice ou d’un agriculteur. Et peut-être aussi donner envie, en montrant une transmission qui se déroule sereinement, à d’autres jeunes de s’installer. C’est pour cela que j’ai souhaité y consacrer le deuxième film de la soirée « Nous paysans ».

2/ Dans un contexte où le nombre de fermes diminue, où la difficulté de transmission est considérée aujourdhui comme un sujet sensible pour le devenir de lagriculture française, vous abordez les difficultés et les questionnements rencontrées par 2 femmes, non issues du monde agricole. Ces profils atypiquesconstituent-ils une opportunité pour le monde agricole ?

Je voulais parler de la reprise d’une ferme par une femme. Parce qu’elles sont de plus en plus nombreuses à s’installer ! Et qu’elles assurent ! Le fait qu’Audrey et Lauriane ne soient pas issues du milieu agricole, je trouvais ça particulièrement intéressant.
Peut-être parce qu’en 1994, quand j’ai filmé la dernière moisson de mes parents, le métier de paysan ne faisait pas particulièrement envie, c’était encore un métier que l’on choisissait parfois « par défaut ». Les fermes semblaient vouées à s’agrandir ou disparaitre.
Or en réalisant « Nous Paysans », en arpentant les campagnes, en rendant visite aux agricultrices et agriculteurs, ou en allant à des réunions de néo-paysans à … Paris, je me suis rendue compte que quelque chose avait changé.

A ma grande surprise, le métier faisait envie à des jeunes. Et souvent de jeunes diplômés ou qui avaient parfois déjà un parcours professionnel très abouti, rêvaient de s’installer…paysan ! … Il se passait quelque chose.

L’histoire d’Audrey et Lauriane dit vraiment quelque chose de ce qui se passe en ce moment.

Et puis la ferme de Jean-Yves et Babeth Penn, le couple qui cède sa ferme, des laitiers « herbagers » bretons, c’est un modèle qui intéresse les jeunes, parce qu’il est conçu pour être plus autonome, avec moins de travail, (et plus de revenu !) et plus de services environnementaux.

Quand je les ai « trouvés » tous les quatre, j’ai vraiment senti que toutes les planètes s’étaient alignées !

3/ “Quel est votre regard sur une transmission réussie ?  (La question que tout le monde se pose après avoir vu le documentaire : que sont devenues Laurianne et Audrey ?)”

J’accompagne beaucoup le film qui suscite, à chaque projection, des débats passionnants.

Il y a des personnes qui cherchent une repreneuse ou un repreneur. Et d’autres qui cherchent à s’installer…

Mais souvent je remarque que les projets ne coïncident pas : beaucoup de jeunes cherchent du foncier, quelques hectares pour faire du maraichage, ou des poulaillers mobiles en agro-foresterie, etc.

Peu de monde, en dehors des enfants d’agri, semble prêt à prendre la relève en s’endettant pour se lancer.

Pour la majorité d’entre eux, ça ne serait tout simplement pas possible. Ce qui a permis à Audrey et Lauriane de se lancer, c’est qu’elles sont en location. Pour l’instant.

En tout cas, elles vont bien.

Les deux premières années ont été rudes mais c’est normal. En ce moment, jusqu’aux vêlages de fin février, elles soufflent un peu. Elles profitent vraiment du fait que les vaches soient taries, qu’elles aient pu fermer la salle de traite.

Elles se sentent plus à l’aise à l’idée d’attaquer la 3ème année. La preuve, maintenant qu’elles commencent à maitriser le système, elles commencent à réfléchir à l’achat de la maison de la ferme, elles se projettent…

On savait que le prix du lait bio allait forcément à un moment arrêter d’augmenter. Elles l’avaient anticipé dans leur prévisionnel. Mais quand même, ça arrive plus vite que prévu. Alors aujourd’hui, elles réfléchissent à « la transfo », comme beaucoup. Transformer une partie du lait, pour vendre en circuit court. Pour faire des glaces, des yaourts, tout ça est à réfléchir.
En tout cas, elles peuvent compter sur l’aide, en cas de besoin de Jean-Yves et d’un réseau qu’elles ont créé autour d’elles d’éleveurs et amis.

Leur travail, la prise en main de la ferme, même intense, laissent quand même le temps, de s’engager localement : Lauriane a été élue conseillère municipale de Ploërdut.

Je les sens « bien à leur place » comme elles disent dans le film. Et je suis fière d’elles !

Le documentaire « L’Installation » sera projeté le18 janvier  2022 à 20h30 au cinéma La Salamandre à Morlaix, le 9 mars au cinéma « Le fauteuil rouge » à Bressuire, et le 12 mars au Festival « A travers champ » à Hastière-Lavaux, en Belgique.