3 questions à
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03/07/2024
Bernard Valluis, Président de la La Fédération Européenne des Banques Alimentaires
La Fédération Européenne des Banques Alimentaires (FEBA) vient d’élire le 18 juin 2024 son nouveau président, Bernard Valluis, que les adhérents d’Agridées croyaient déjà bien connaître. Un engagement qui mérite une explication, au sein d’une organisation qui lutte contre la précarité alimentaire.
1/ Quel est le rôle concret des banques alimentaires, et celui de sa fédération européenne ?
Une banque alimentaire est d’abord une association de bénévoles dédiés à la collecte de surplus alimentaires pour les distribuer à ceux qui n’ont pas les moyens suffisants pour se nourrir. Concrètement, il s’agit de collecter quotidiennement dans la chaîne alimentaire les produits qui autrement auraient été destinés à la destruction ou détournés vers l’alimentation animale. Cette « ramasse » est complétée par des opérations de collecte annuelle en faisant appel à la générosité du grand public dans les points de vente de la grande distribution. Pour conduire ces actions, une banque alimentaire gère un ou plusieurs dépôts de stockage et des moyens de transport des marchandises. Les produits collectés sont acheminés dans cette plateforme de stockage et de constitution de lots de rations destinés à être remis à des associations partenaires ou à des centres d’action sociale, qui à leur tour les distribuent aux bénéficiaires finaux, le tout dans des délais très courts, puisqu’il peut s’agir de produits frais ou à date courte de péremption.
La fédération française des banques alimentaires, premier réseau national d’aide alimentaire compte aujourd’hui 79 banques alimentaires réparties sur l’ensemble du territoire et outre-mer. En 2023, les 7767 bénévoles s’appuyant sur un réseau de 6060 partenaires ont permis la distribution de 241 millions de repas à près de 2,4 millions de bénéficiaires.
Quant à la fédération européenne, créée en 1986 par la fédération française, elle regroupe les fédérations nationales de 30 pays européens qui, ensemble, totalisent 351 banques alimentaires avec un réseau de 100 000 personnes agissant à travers 24 374 associations partenaires, et qui ont distribué 839 942 tonnes de produits à 12,8 millions de bénéficiaires en 2023.
Selon les spécificités de chaque pays, et pour faire face à l’accroissement des besoins, le modèle de base des banques alimentaires s’est diversifié avec l’élargissement des distributions aux produits d’hygiène, à la création d’ateliers de transformation, d’ateliers de cuisine, d’épiceries sociales et solidaires, et dans certains cas à la distribution directe aux bénéficiaires. Néanmoins, la réduction des surplus disponibles, du fait des efforts réalisés par les chaines alimentaires pour lutter contre pertes et gaspillage, contraint aujourd’hui à procéder à des achats, et donc de solliciter les entreprises et le grand public à des dons financiers. Dès lors, le soutien apporté par l’Union européenne peut représenter jusqu’à 20% de l’équivalent monétaire de l’activité des banques alimentaires. Ce Fonds Européen d’Aide aux plus Démunis (FEAD) est aujourd’hui partie du Fonds Social Européen Plus (FSE+), dont les budgets sont gérés nationalement pour l’achat de produits par les agences nationales de mise en œuvre des financements de la PAC.
2/ La précarité alimentaire, y compris dans les pays à haut développement économique ne cesse de progresser. Comment l’expliquer et s’y opposer ?
Selon les statistiques européennes, 95,3 millions de personnes, soit 21,6% de la population de l’UE 27, étaient exposées en 2022 au risque de pauvreté ou d’exclusion sociale. Quoique la définition du seuil de pauvreté soit statistiquement arbitraire, ces chiffres illustrent l’ampleur des disparités de revenus et des inégalités sociales de nos sociétés occidentales, pour des pays considérés développés. Bien évidemment, entre les Etats membres de l’Union, certains pays souffrent beaucoup plus que d’autres de ces situations de pauvreté pour une partie de leur population. C’est le cas pour une personne sur trois en Roumanie et Bulgarie, une personne sur quatre en Grèce, Espagne, Lettonie ou Estonie, quand cela touche moins d’une personne sur six aux Pays-Bas, en Slovaquie, Finlande, Pologne ou Slovénie, une personne sur dix en République Tchèque. Une analyse plus fine conduit à considérer que 28,7 millions de personnes se trouvent en situation de privation matérielle et sociale grave.
C’est sans doute dans cette dernière partie de la population que se situent les personnes qui souffrent gravement de précarité alimentaire, c’est-à-dire de ne pouvoir accéder en quantité et en qualité à une alimentation normale. La crise Covid-19 qui a privé de moyens certaines catégories sociales, puis la crise énergétique générée par le conflit russo-ukrainien et la flambée des prix alimentaires qui a suivi ont précipité de nouvelles franges de population dans la précarité alimentaire, étudiants, jeunes adultes, foyers mono-parentaux, ou retraités disposant de faibles pensions. Pour la France, le nombre des bénéficiaires des banques alimentaires s’est accru de 30% en 3 ans.
Si les taux d’inflation, et en particulier ceux des produits alimentaires, sont revenus à des niveaux plus modérés, par un effet de cliquet, les prix de l’alimentation demeurent à des niveaux élevés, de sorte que tous les signaux présagent d’un accroissement à venir du nombre des personnes qui relèveront de l’aide alimentaire.
Dans le combat contre les conséquences de la pauvreté, les banques alimentaires ont l’objectif modeste de lutter contre l’insécurité alimentaire, de donner à manger à ceux qui ont faim et de les accompagner socialement car la précarité alimentaire est associée à tout ce qui touche aux conditions de vie et aux incidences en matière de santé. Alors que 735 millions de personnes souffrent de la faim dans le monde, principalement dans les pays en développement du fait des niveaux insuffisants de revenu, il apparait paradoxal que sous-alimentation et malnutrition sévissent encore dans des pays riches et puissent même augmenter.
3/ Une telle responsabilité sociétale, président de la FEBA, découle-t-elle d’engagements professionnels antérieurs ?
L’action des banques alimentaires, en réduisant pertes et gaspillage au profit de ceux qui ne peuvent satisfaire leurs besoins alimentaires essentiels, s’inscrit dans les objectifs fondamentaux du développement durable et de la lutte contre le changement climatique.
Tout produit sauvé pour l’alimentation humaine, c’est aussi autant d’émissions de gaz à effet de serre épargnées. Cette double mission répond profondément à mes motivations personnelles et professionnelles. Y consacrer du temps, mettre à contribution mon expérience et les expertises acquises au long de ma carrière professionnelle me semblent être ce que je dois donner pour avoir eu la chance de beaucoup recevoir.
Les défis actuels des banques alimentaires européennes sont immenses. Il s’agit tout d’abord d’être visible, reconnu pour les actions conduites, identifié pour le rôle social d’accompagnement des plus démunis. Il s’agit également d’être en mesure de mobiliser les moyens financiers nécessaires à la poursuite des missions des banques locales. Il s’agit encore d’aider les pays où le mouvement des banques alimentaires est récent et pour lesquels les besoins sont considérables, la Fédération Ukrainienne créée il y a à peine deux ans après avoir bénéficié de la solidarité des autres fédérations, en est le meilleur exemple. Il s’agit enfin de convaincre les pouvoirs publics et les parties prenantes que la tentation de répondre aux besoins des plus démunis par le recours à des chèques alimentaires est une fausse bonne solution. La distribution de chèques s’opère sans accompagnement social et prive la société de l’effet de levier que permettent les banques alimentaires qui, pour un euro d’argent public, valorisent cet apport. En France ce levier est de l’ordre de 10 !
Par la connaissance approfondie de l’écosystème agroalimentaire européen, par la longue pratique des processus de décision des institutions européennes et par l’expérience acquise dans la vie des entreprises et des associations professionnelles, j’espère pouvoir servir efficacement les missions de la Fédération Européenne des Banques Alimentaires, en espérant être à la hauteur de la confiance qui m’est faite.
Propos recueillis par Yves Le Morvan, Responsable Filières et Marchés