3 questions à
Temps de lecture : 3 min
05/06/2025
Joël Piau, Directeur de la Coopérative de sel de Noirmoutier
Noirmoutier, la coopération ne manque pas de sel
Fiers de leurs marais salants, les sauniers de la Coopérative de sel de Noirmoutier produisent dans le respect d’une tradition millénaire, en perpétuant les gestes ancestraux, et en agissant pour le futur. Joël Piau, directeur de la coopérative, en explique les enjeux contemporains d’organisation économique, l’évolution des marchés, la concurrence…pour un produit naturellement au centre des trois dimensions de la RSE.
1/ Quelle est l’histoire de la coopérative de sel de Noirmoutier ?
Présents sur l’île de Noirmoutier depuis 674, le sel et les hommes de l’île partagent depuis toujours un destin lié. C’est en communion avec la nature et grâce à l’action conjuguée du soleil et du vent, qu’ils récoltent artisanalement le sel et la fleur de sel de Noirmoutier.
La coopérative existe depuis 1942, elle a été constituée pour mutualiser les capacités de négociations des producteurs avec les négociants de l’époque. Mais cette activité était presque à l’arrêt à la fin des années 70, l’île ne comptait alors plus qu’une petite vingtaine de sauniers. Eurial, filiale du groupe Agrial, a décidé alors de s’associer avec les coopérateurs en créant une entité Aquasel qui avait pour but de transformer et commercialiser le sel des sauniers de la coopérative de Noirmoutier. Au début des années 2010 Eurial a décidé de vendre et de se recentrer sur son activité lait. Les coopérateurs ont saisi l’opportunité de redevenir propriétaires de leur outil.
La coopérative, située sur la commune de Noirmoutier en l’Ile, compte aujourd’hui 93 producteurs et productrices (20 % de femmes) noirmoutrins qui commercialisent exclusivement leur production (gros sel et fleur de sel) par le biais de la coopérative. Tous les profils sont présents chez les producteurs, actifs/pluriactifs, il s’agit d’un métier de passion qui apporte du sens à son action, et de ce fait il n’y a pas de grand problème de renouvellement générationnel.
Les sauniers adhérents se réunissent chaque année en assemblée générale pour élire les représentants du conseil d’administration qui auront en charge la gestion globale de la coopérative. Le conseil d’administration est actuellement présidé par Vincent Jolly.
La coopérative emploie 33 salariés qui gèrent la transformation, le conditionnement, la qualité et la commercialisation de nos produits.
En chiffres : La production annuelle est de 2700 tonnes (moyenne des 10 dernières années) en gros sel et 100 tonnes en fleur de sel. Elle permet de se positionner sur la quasi-totalité des marchés (grossistes, agro-industriels, GMS, circuit spécialisé “bio”, détaillant et export). Le sel est commercialisé aussi bien dans les points de vente de la grande distribution que dans les épiceries. Une partie de la production est expédiée à l’international.
A noter que notre engagement récent dans le bio depuis 2024 doit nous permettre de développer nos marchés sur nos territoires locaux du grand ouest en y renforçant notre présence avec des acteurs engagés en bio.
2/ Comment la coopérative incarne-t-elle aujourd’hui la modernité ?
Le statut spécifique des coopératives apparait aujourd’hui toujours aussi moderne. Cela crée des organisations capables de résister aux aléas géopolitiques et aux profondes mutations socio-économiques que nous connaissons ces dernières années.
Nous savons que notre solidité repose sur les grands principes du modèle coopératif : une gouvernance démocratique, la liberté d’adhésion, la primauté de la personne sur le capital. Sur cette base les coopératives peuvent s’imposer comme des modèles résilients, capables de répondre aux attentes sociétales actuelles : quête de sens, transition écologique, qualité et traçabilité des produits, ancrage local, rémunération des producteurs et d’intégrer une démarche RSE, souvent plus rapidement et sincèrement que les structures à logique purement capitalistique.
Par exemple, nous évoluons dans des sites géographiques particuliers, des zones humides, à protéger sur le plan de la biodiversité et de l’environnement en général. Nous y maintenons une vie économique avec les précautions requises et l’engagement de chacun vis-à-vis de la nature. De même, nous exerçons une activité très “climato-sensible”, avec de fortes variations. Ainsi notre collecte de sel en 2022 a été de 5.000 tonnes grâce au soleil, à la chaleur, au vent. Inversement, en 2023 notre collecte s’est effondrée à 350 tonnes avec une pluie permanente. Il faut être solidaire pour l’accepter ! Et construire un modèle contractuel en filière qui protège mieux l’engagement et la rémunération à long terme des sauniers (10 ans d’adhésion minimum vis-à-vis de la coopérative), ce qui explique notre participation à Agri-Ethique. Enfin nous travaillons également les aspects culinaires mais aussi liés à la santé des consommateurs, puisqu’il faut surveiller sa consommation. Notre sel, un “sel marin gris alimentaire” avec moins de 97 % de chlorure de sodium, contient des oligoéléments et des éléments naturels qui en font le succès.
À titre personnel, j’ai découvert l’univers coopératif il y a seulement trois ans, mais je suis aujourd’hui convaincu que je mettrai tout en œuvre pour achever ma carrière professionnelle au service de la coopération.
3/ Les projets d’avenir pour “Le Sel” de Noirmoutier ?
Depuis le rachat, en 2014, du stock et de l’outil de conditionnement et de commercialisation par les associés coopérateurs, la coopérative “Le Sel” de Noirmoutier a traversé une première phase délicate. Les sept premières années ont été marquées par des difficultés (endettement important, mauvaises récoltes, marché pas enclin à payer plus pour un sel de qualité), mais aussi par une gestion rigoureuse et solidaire, qui a permis de constituer un capital financier solide.
Ce capital a été le point de départ d’une nouvelle dynamique : entre 2022 et 2024, la coopérative a investi dans un outil de production moderne, mieux adapté à accompagner la croissance significative observée depuis trois ans. Ce renouveau technologique nous permet aujourd’hui d’envisager l’avenir avec ambition.
Nous entrons désormais dans une nouvelle phase, axée sur le développement de nos capacités de stockage, de logistique et de collecte. Ces investissements sont essentiels pour accompagner durablement notre croissance, sécuriser nos circuits de distribution, et répondre aux attentes croissantes en matière de qualité, de traçabilité et de responsabilité environnementale. En effet la concurrence s’accroit, nous faisons face à de très grandes entreprises, de France ou d’Europe (Allemagne, Pologne, Roumanie), aptes à fournir de gros volumes de sel, du “sel alimentaire” à plus de 97 % de chlorure de sodium dont nous pouvons nous différencier pour partie par notre image, notre durabilité, nos qualités. Nous connaissons aussi les difficultés de l’import/export, y compris dans sa dimension géopolitique puisque nous exportons aux Etats-Unis et vivons les taxes décrétées par Donald Trump.
C’est pourquoi il est aujourd’hui plus que jamais nécessaire de renforcer les liens avec d’autres structures qui partagent nos valeurs. Ce renforcement coopératif va permettre de mutualiser nos efforts, de sécuriser nos filières, et de porter une voix commune auprès des pouvoirs publics.
L’avenir du sel de Noirmoutier ne peut se construire qu’à travers une vision collective, durable et coopérative. Le projet lancé il y a plus de dix ans par les associés reste plus que jamais d’actualité : Cap vers une coopération renforcée et une production durable.