Site non disponible sur ce navigateur

Afin de bénéficier d'une expérience optimale nous vous invitons à consulter le site sur Chrome, Edge, Safari ou Mozilla Firefox.

Retour à la liste des contenus

Analyses

Temps de lecture : 5 min

29/04/2022

Risques Biodiversité : quelles implications pour les filières agricoles et alimentaires ?

L’érosion de la biodiversité est beaucoup moins mise en lumière médiatiquement que le changement climatique. Et pourtant, les enjeux qu’elle recouvre sont aussi importants et il y a de fortes interactions entre les deux processus. Son défaut est d’être moins visible et palpable.

En s’appuyant sur l’approche par les neuf limites planétaires, développée en 2009 par une équipe internationale de 26 chercheurs menés par Johan Rockström du Stockholm Resilience Centre, régulièrement mise à jour, 5 à 6 limites auraient déjà été atteintes. L’intégrité de la biosphère et plus particulièrement la perte de diversité génétique (extinction rapide et intense de nombreuses espèces, on parle aussi de sixième extinction de masse) fait partie des limites déjà atteintes comme celles du réchauffement climatique et de la perturbation des flux biogéochimiques de l’azote et du phosphore. Cela signifie que les écosystèmes sont gravement perturbés avec des conséquences globales ou systémiques qu’on maîtrise encore très mal à moyen-terme. Le GIEC et l’IPBES[1] (équivalent du GIEC pour la biodiversité et les services écosystémiques), sous couvert de l’Organisation des Nations Unies (ONU) collaborent pour associer et porter les deux sujets au même niveau d’importance.

La COP 15 (15ème réunion de la Conférence des Parties sur la diversité biologique, sur le même modèle que les COP sur le climat) qui devait se tenir en Chine en 2020 sur le sujet n’a de cesse d’être reportée depuis deux ans avec les conséquences de la crise sanitaire de la Covid-19. Elle doit notamment acter l’objectif de protéger 30% des terres et des mers d’ici 2030. Aucun cadre incitatif et contraignant n’a encore été construit à l’échelle internationale. L’Europe a un peu d’avance sur ce sujet, dans le cadre de la stratégie du Green Deal. En France, c’est la loi sur la Transition Energétique Pour une Croissance Verte du 17 août 2015 qui a durci les règles relatives à la protection de l’environnement et la biodiversité.

Pourtant les risques liés à la perte de biodiversité sont importants pour les entreprises et notamment pour les secteurs agricoles et agroalimentaires. La dimension de la biodiversité est à relier à celle des services écosystémiques, c’est-à-dire les services rendus par les écosystèmes naturels à l’Homme. Ils ont été définis par le Millenium Ecosystem Assessment (MEA) en 2005 et classés en quatre grandes catégories :

  • les services d’approvisionnement (alimentation, matières premières renouvelables, eau douce…) ;
  • les services de régulation (régulation de la qualité de l’air, du climat, de l’érosion, de la pollinisation…) ;
  • les services de soutien (cycles des nutriments, photosynthèse, sols…) ;
  • les services culturels (loisirs, paysages…).

Les productions agricoles et alimentaires sont les activités les plus dépendantes des services écosystémiques. Une étude de la Banque de France publiée en septembre 2021 met en évidence que 42% des titres détenus par les institutions financières françaises ont une activité qui repose sur la valorisation d’au moins un service écosystémique, dont 9% sur au moins cinq[2] (notamment le secteur agroalimentaire). La deuxième édition du rapport de l’ONU sur les « Perspectives mondiales foncières » publié le 28 avril[3] alerte sur l’état de dégradation des sols dans le monde et la nécessité de les restaurer avec le développement de pratiques d’agriculture durable. Or des sols dégradés contribuent au relâchement dans l’atmosphère d’importants stocks de carbone et nuisent à la biodiversité. Une surface équivalente à l’Amérique du Sud serait concernée à l’horizon 2050 selon ce rapport.

Les principales pressions sur la biodiversité sont le changement d’usage des sols (fragmentation des territoires et destructions des habitats naturels), la surexploitation des ressources naturelles, le changement climatique, les pollutions (notamment chimiques) et la prolifération des espèces envahissantes. En plus de la dépendance des entreprises aux services écosystémiques, les institutions financières regardent également les impacts des activités économiques sur la dégradation de la biodiversité. C’est ce qu’on appelle la double matérialité. Cette approche est notamment suivie par les ONG mais aussi les assureurs. Les productions agricoles, alimentaires et sylvicoles sont identifiées comme les principales sources d’impacts et de risques.

Le monde de la finance commence à s’approprier ce sujet en créant des actifs d’investissement dédiés. On parle notamment de finance à impact, qui conditionne les investissements à des objectifs environnementaux. Selon Novethic Market Data, de plus en plus de fonds d’investissement durable se développent en excluant des activités (production d’huile de palme, d’OGM, de pâte à papier, de pesticides ou d’élevage intensif). En lien avec le cadre règlementaire qui se durcit en Europe (Taxonomie, directive CSRD en cours d’élaboration sur la transparence des entreprises, Directive SFDR sur les placements financiers…), les fonds de finance durable, en plein développement, sont davantage sélectifs et exigent des engagements forts de la part des gouvernances des entreprises.

Une autre problématique concernant la biodiversité est la difficulté à élaborer des indicateurs de mesure universelle qui parle au plus grand nombre. Les indicateurs d’analyse d’impact sur la biodiversité sont encore émergents et peu robustes. Sur le modèle de la tonne équivalent CO2 utilisée dans les politiques de lutte contre le changement climatique, des travaux sont en cours pour créer un indicateur global, appelé la MSA (Mean Species Abundance, Abondance Moyenne des Espèces en français), qui mesure l’abondance moyenne des espèces au km2 exprimé en pourcentage. Il compare l’état d’un milieu « vierge » d’activités humaines et l’état de ce même milieu avec activités humaines en regardant les impacts sur les espèces (perte). Cet indicateur s’intègre notamment dans le Global Biodiversity Score, porté notamment par la CDC Biodiversité en France.

En synthèse, la problématique de la biodiversité est un sujet éminemment stratégique en économie et en finance, et plus particulièrement pour les secteurs agricoles et agroalimentaires. Malgré les difficultés techniques de la mesure, cette dimension doit être intégrée dans le pilotage des entreprises.

 


[1] Le GIEC, crée en 1988, est le Groupe d’Experts Intergouvernementaux sur l’évolution du climat. Sa mission est d’évaluer l’état des connaissances sur le climat, ses causes, ses impacts. L’IPBES, créé en 2012, est la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques. Sa mission est de fournir des connaissances sur la biodiversité de la planète, les écosystèmes et leurs bénéfices pour les individus.

[2] Bulletin de la Banque de France 237/7, Perte de Biodiversité et stabilité financière : une nouvelle frontière pour les banques centrales et les superviseurs financiers ? Septembre-Octobre 2021 ; Etude Evaluations. économiques des services rendus par la biodiversité, Trésor-Eco n°294, décembre 2021, Direction générale du Trésor

[3] https://www.unccd.int/resources/global-land-outlook/glo2#