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Temps de lecture : 3 min

13/06/2024

Les propositions de The Shift Project pour une “agriculture bas carbone, résiliente et prospère”

Le think tank The Shift Project, présidé par Jean-Marc Jancovici, a présenté ses propositions de décarbonation de l’agriculture le 6 juin 2024 dans un rapport intermédiaire de 184 pages, intitulé “Vers une agriculture bas carbone, résiliente et prospère – planifier une transformation ambitieuse du secteur”.

Créé en 2010 à la suite de la crise financière internationale, The Shift Project (qui peut se traduire par « Le projet de transformation ») travaille sur les questions économiques et technologiques soulevées par la décarbonation de plusieurs secteurs d’activité. Il met également en place des ateliers et des conférences de sensibilisation et des actions de communication pour diffuser sa vision et ses propositions.

Le rapport intermédiaire publié le 6 juin 2024 présente les différents leviers de décarbonation de l’agriculture et les articule dans trois projections différentes. La conclusion est sans appel : il n’est pas possible de fixer comme objectifs à l’agriculture française d’assurer en même temps la sécurité alimentaire et de contribuer à la souveraineté énergétique. Pour The Shift Project, il est donc nécessaire de « clarifier le cap que l’on souhaite donner au secteur agricole ». Ce rapport a le mérite de mettre les pieds dans le plat en soulignant que le manque de clarté des objectifs stratégiques attribués à l’agriculture est un des principaux freins à la transition agricole : puisqu’il ne sera pas possible de tout faire en même temps (nourrir et décarboner l’énergie), le fléchage des outils et pratiques de production n’est pas assez clair pour répondre à ces objectifs : dans un cas productivité et sécurité alimentaire mais émissions de GES élevées, et dans l’autre, réduction des émissions mais baisse de rendement et donc insécurité alimentaire. De plus, souligne The Shift Project dans ce rapport, les arbitrages en cas de conflits d’usages de la biomasse et de la ressource en eau ne sont pas tranchés.

Cependant, les énergies renouvelables considérées dans cette étude ne comprennent que les biocarburants et le biogaz issu de la méthanisation. Le déploiement de l’énergie photovoltaïque, notamment via l’agrivoltaïsme, n’est pas envisagé dans ces projections. Notons également que ces dernières sont réalisées « toutes choses égales par ailleurs » : sans changement de pratiques, de techniques culturales ou d’élevage, sans tenir compte de l’évolution des rendements, des politiques publiques ou des stratégies des acteurs de la chaîne alimentaire, ni de l’évolution de la demande : consommation alimentaire (vers plus de flexitarisme[1] ?) et non alimentaire pour les produits biosourcés séquestrant du carbone biogénique sur le long terme (matériaux pour le bâtiment, bioplastiques, chimie verte…).

D’autre part, ce long document n’aborde quasiment pas les financements de l’agriculture bas carbone, pourtant en plein développement aujourd’hui par la certification carbone sous forme de crédits carbone ou de primes filières accordées par certaines entreprises de l’aval pour les agriculteurs qui améliorent leur empreinte carbone, leur impact sur la biodiversité et la qualité de l’eau (agriculture régénératrice). C’était un des principaux points abordés dans les récents travaux d’Agridées[2].

Ensuite, l’expression « agriculture de précision » n’est pas mentionnée dans ce document, alors que nous avons identifié une agriculture de précision et bas carbone comme un des principaux leviers d’amélioration de l’empreinte carbone des agriculteurs dans nos travaux. Le rapport du Shift Project  accorde cependant une place importante à certaines innovations technologiques, avec une analyse SWOT (forces, faiblesses, opportunités et menaces) pour évaluer leur capacité à accompagner la transition agricole : optimisation de la fertilisation azotée par OAD et modulation, amélioration des plantes, agroéquipement de désherbage, optimisation de l’alimentation animale, solutions numériques pour la gestion des ravageurs, production en environnement contrôlé et biostimulants. Etonnamment, les solutions de biocontrôle et les biofertilisants ne sont pas considérés, pas plus que la modélisation mathématique par traitement des données, ou la génétique animale. D’une manière générale, cette étude ne tient pas suffisamment compte de l’élevage. Seule la relocalisation de l’alimentation des animaux apparaît parmi les leviers d’atténuation : il n’est pas question de génétique, de conduite d’élevage, ni d’élevage de précision.

Le secteur viticole n’est pas non plus abordé, alors qu’il est l’un des premiers, avec le secteur laitier, à s’être mobilisé face aux impacts du changement climatique et est également très dynamique pour tester les innovations technologiques. Des exemples de solutions techniques et d’entreprises innovantes auraient également pu enrichir et illustrer le chapitre dédié aux innovations (logiciels, variétés, robots, biosolutions….).

Enfin, point commun avec les travaux d’Agridées[3], le rapport du Shift Project pointe les lacunes de la formation agricole sur les enjeux environnementaux (en particulier climatiques), et sur les pratiques agroécologiques, tant dans les parcours de formation initiale que continue. The Shift Project recommande donc de mobiliser les établissements sur ces sujets et de valoriser ceux d’entre eux qui mettent en place un enseignement des enjeux écologiques.

Nous attendons donc avec impatience le rapport final de cette étude, annoncé pour fin 2024 !

 


[1] Note d’Agridées (2020) Flexitarisme : une opportunité pour la chaîne alimentaire

[2] Liste des travaux récents d’Agridées :

 

[3] Note (2022) Dynamique agricole : quelles compétences ?