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Temps de lecture : 3 min

21/12/2022

Tour de plaine des perspectives agricoles

Les dernières années ont démontré combien l’imprévisible pouvait mettre à mal l’exploration de l’avenir. La pandémie COVID-19, l’invasion russe de l’Ukraine, l’accélération des événements climatiques extrêmes ont provoqué des chocs et des ruptures qui ont déjoué toutes les prévisions. Et pourtant, plus que jamais, à défaut de pouvoir prédire l’avenir, il s’avère nécessaire d’en explorer les contours et d’élaborer des perspectives pour éclairer autant que possible les stratégies des acteurs économiques et les politiques publiques. Ainsi les institutions internationales réalisent périodiquement cet exercice en s’appuyant sur le constat des tendances les plus récentes et en émettant des hypothèses prudentes concernant le futur proche.

Perspectives internationales

Dans la dernière édition semestrielle des Perspectives des marchés des matières premières la Banque Mondiale considère qu’un ralentissement brutal de la croissance et des risques de récessions pourraient peser à la baisse sur les prix des matières premières en 2023, tout en restant à des niveaux plus élevés que la moyenne des cinq dernières années. Dans ces conditions, le prix de l’énergie pourrait baisser de 11% en 2023 et de 12% en 2024, quand les prix agricoles baisseraient de 5% en 2023 pour se stabiliser en 2024. Bien entendu ces perspectives globales sont susceptibles d’être impactées par de nouveaux risques, et pourraient se traduire par des situations aggravées dans certains pays pour l’approvisionnement en énergie et en produits alimentaires du fait des dépréciations monétaires

C’est dans ce contexte que les experts Josef Schimbhuber et Bing Qiao ont analysé l’évolution de la facture alimentaire globale dans le rapport « Perspectives alimentaires » de la FAO publié en octobre 2022. Ils considèrent que celle-ci a cru à un rythme plus modéré en 2022, tout en atteignant un nouveau record absolu, soit 1 900 milliards de dollars, 10% de plus que le record précédent. La décomposition de l’augmentation en valeur, soit 157 milliards, et en volume, soit l’équivalent de 27 milliards, met en évidence l’effet prix. Les pays les plus développés ont participé largement à ces achats quand les moins développés ont dû restreindre les volumes. Ainsi les pays de l’Afrique Sub-Saharienne ont accru leurs dépenses en valeur de 4,8 milliards de dollars pour une baisse des volumes évaluée à 0,7 milliard. Les prix mondiaux élevés des produits agricoles et alimentaires mettent ainsi en péril la sécurité alimentaire des pays les plus pauvres qui font les frais des effets collatéraux du conflit russo-ukrainien.

 

Perspectives européennes

Si l’Union Européenne est globalement à l’abri d’une crise alimentaire, le Rapport des perspectives à court terme publié à l’automne par la Commission a souligné l’impact négatif d’un climat chaud et sec sur une grande partie de l’Europe, les conséquences de l’invasion russe de l’Ukraine sur les prix de l’énergie, et par conséquent sur les coûts des intrants, des prix agricoles et de l’inflation alimentaire. Pour la campagne agricole 2022/2023, les perspectives à court terme restent favorables pour les grandes cultures, à l’exception du maïs affecté par une faible récolte, une production laitière en légère baisse (-0,5%), tandis que les réductions de production de viande bovine (-0,6%) et porcine (-5%) s’accompagnent d’une forte hausse des prix de la volaille (+27% de janvier à mi-septembre 2022 par rapport à 2021), fortement touchée par le développement de la grippe aviaire, comme la production porcine est affectée par la peste porcine africaine.

La Conférence 2022 des Perspectives agricoles de l’Union Européenne, qui s’est déroulée à Bruxelles les 8 et 9 décembre derniers, a été l’occasion de présenter un important rapport des perspectives 2022-2032 pour les marchés, le revenu et l’environnement. Á partir d’hypothèses macroéconomiques en phase avec les travaux conjoints de l’OCDE et de la FAO, et en prenant en compte les orientations actuelles des politiques agricole et commerciale, le rapport ne prévoit pas de changement global dans l’utilisation des surfaces agricoles. La production céréalière resterait stable en volume, légèrement réduite en oléagineux et stable pour le sucre de betteraves. Malgré une réduction minime de la production laitière (-0,1% par an), alors que le cheptel laitier devrait décroitre au rythme de -1,1% par an, l’Union Européenne devrait rester le leader mondial avec une part de marché de 24%. Les changements de pratique en matière d’élevage, comme l’évolution de la demande devraient affecter l’évolution des marchés de la viande. Globalement la consommation devrait augmenter en 2032 du fait du secteur de la volaille, quand la consommation de viande bovine (-0,8 kg/tête) et porcine (-1,3kg/tête) évolue négativement. Néanmoins on peut anticiper que la demande sera satisfaite par une augmentation des importations de 1,8 million de T de viande de volailles, et de 1,3 million de T de viande bovine.

Dans sa dernière partie, le rapport présente des scénarios de réduction de la densité du cheptel bovin pour analyser l’impact environnemental des évolutions conformes avec la stratégie de la Fourche à la Fourchette. Les deux niveaux de réduction, soit 2 et 1,4 unités de cheptel par hectare se traduisent évidemment par une réduction significative des émissions de gaz à effet de serre. Mais dans cette analyse réalisée par le Centre Conjoint de Recherche de la Commission, les auteurs ne cachent pas qu’une large part de cette réduction serait annulée par les « fuites de carbone », c’est-à-dire par les émissions liées à l’augmentation des importations de pays tiers.

 

Quelques pistes de réflexion

Alors que la nouvelle PAC va s’appliquer à partir du 1er janvier 2023 dans les différentes déclinaisons nationales des plans stratégiques, la contribution de l’agriculture à la stratégie du Pacte Vert est plus que jamais au centre des questions non résolues. Si les efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre doivent se payer par une perte de compétitivité et une augmentation des émissions importées, il faut se pencher rapidement sur les facteurs d’accélération des changements de régime alimentaire, ou encore sur la possibilité d’imposer aux importations les mêmes normes environnementales que celles appliquées à la production agricole dans l’Union. Sur ce dernier point, la Commission a certes ouvert en 2022 la voie à la mise en place de « clauses miroir », mais sa mise en œuvre prendra du temps et elle sera certainement limitée dans son champ et son ampleur.

Autre piste de réflexion et non des moindres, les entrepreneurs agricoles vont devoir concilier profitabilité et durabilité dans les voies étroites ménagées par l’évolution des marchés, les politiques publiques et les pressions sociétales. Reste donc à imaginer et réaliser la pluralité des solutions adaptées à chaque territoire, qui in fine seront les gages du renouvellement des générations en agriculture.