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3 questions à

Temps de lecture : 5 min

17/12/2021

Jean-Marie Séronie

Vendredi 10 décembre 2021, Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, a présenté les résultats du recensement agricole décennal. La photographie de la ferme France en 2020 montre une évolution rapide et marquée des 10 dernières années. La baisse du nombre d’exploitations, le vieillissement de la population agricole et l’évolution de l’organisation du travail posent des questions sur le renouvellement des générations et la notion de souveraineté alimentaire. Nous interrogeons Jean-Marie Séronie agroéconomiste et administrateur chez Agridées.

1/ 100 000 exploitations agricoles ont disparu en 10 ans, dont une majorité en polyculture élevage, doit-on s’inquiéter pour notre production alimentaire et la transition agroécologique ?

Effectivement nous sommes passés de 490 000 à 390 000 exploitations en 10 ans. Cela fait une baisse de 21% apparemment inquiétante et en parallèle la surface moyenne passe de 55 à 69 Ha soit 25% ce qui peut paraître énorme. En fait regardons objectivement les faits dans le détail et raisonnons sans parti pris ni a priori de posture.

Il y a 48 000 micros-exploitations (faisant moins de 25 000 euros de chiffre d’affaires annuels) en moins, soit quasiment la moitié de la baisse du nombre total d’exploitations. Par ailleurs il y a presque 15 000 sociétés en plus, ce qui veut dire pour une part des agriculteurs qui se sont regroupés sans arrêter le métier ou avec une reprise par un jeune. La perte d’exploitations « économiques » doit donc être en réalité plutôt de l’ordre de 40 000 soit moins de 10%. La concentration se poursuit donc mais à un rythme finalement assez modéré.

Autre mesure du niveau de concentration, la surface agricole par équivalent temps plein passe de 36,4 Ha à 40,6 Ha. On peut se demander si cette augmentation de 1% par an est suffisante et ne traduit pas plutôt une faible augmentation de la productivité du travail pénalisant la rentabilité des exploitations françaises.

La surface agricole totale de la France a baissé de 1% en dix ans soit un rythme trois fois moins rapide que sur les trente dernières années. Notre capacité de production et notre souveraineté ne sont donc, de ce point de vue, nullement en péril.

2/ 25 % des agriculteurs ont aujourd’hui plus de 60 ans, cette part a augmenté de 5,4 % en 10 ans. On note aussi que 58 % des chefs d’exploitations ont + de 50 ans (+ 6 points). Quelle répercussion cela a-t-il sur le renouvellement des générations ?

Nous avons toujours eu tendance depuis des années à dramatiser l’enjeu du renouvellement. Les premières analyses alarmistes du recensement ces jours-ci sont, de mon point de vue, un contre sens majeur. Il ne faut pas raisonner en pourcentage d’une classe d’âge mais en nombre d’exploitations à transmettre.

Dans la décennie à venir il y aura nettement moins d’agriculteurs qui prendrons leur retraite que dans la décennie précédente. En 2010 il y avait 314 000 exploitants âgés de plus de 50 ans, ils ne sont plus que 287 000 en 2020. Par ailleurs le nombre d’agriculteurs exploitant en société a augmenté de 10% en 10 ans et leur poids est passé de 30 à 40% du nombre total des exploitations. Le nombre d’exploitations à reprendre va donc plutôt diminuer.

Ce qui n’enlève rien au fait qu’il faut des repreneurs compétents, formés et motivés !

3/ Alors que les exploitations agricoles font de plus en plus appel aux salariés (+4 points), et que la part des aidants familiaux se réduit (-4%), assiste-t-on à la fin d’un modèle familial de l’agriculture française ?

Le nombre d’exploitations réalisant plus de 250 000 euros de chiffre d’affaires progresse mais seulement de 200 par an ! Il y a certainement des effets d’optimisation fiscale qui en limite le nombre, (250 000 est le seuil d’exonération des plus-values), mais cela ne change pas fondamentalement la donne : les exploitations agricoles françaises restent de petite taille.

Le système de travail se transforme en revanche assez rapidement. Les aides familiaux sont en train de disparaitre, leur nombre a baissé de 40% en dix ans. Ils ne représentent plus aujourd’hui que 8% du travail dans les fermes françaises. Ce mouvement reflète une professionnalisation et un progrès statutaire. Il y a par ailleurs une augmentation de 8% du nombre de salariés dans les exploitations. C’est une vraie transformation du modèle et un enjeu important pour l’avenir en termes de formation, de management, de carrière.

Je ne pense pas que cela remette en cause la dimension familiale de l’exploitation. Le nombre moyen de travailleurs par ferme (familiaux et salariés) reste très bas, il passe de 1,5 à 1,7 ! Avant-guerre les exploitations familiales avaient bien davantage de salariés pour conduire les attelages.

En synthèse je trouve, à rebours de la communication assez alarmiste faite depuis une semaine, que ce recensement apporte plutôt des nouvelles positives sur une agriculture en transformation rapide.