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3 questions à

Temps de lecture : 4 min

20/07/2023

Jean-Marie Séronie

L’organisation du conseil agricole. 

A l’occasion des travaux préparatoires du projet de Pacte et Loi d’orientation agricole, dont le calendrier législatif n’est pas encore connu, le thème transversal de l’accompagnement des agriculteurs au vu de l’ampleur des changements à venir a refait surface. La séparation du conseil et de la vente décidée par la loi EGALIM 1, fort complexe, a probablement eu plus de conséquences sur la forme que sur le fond. Plus largement, l’organisation du conseil et le pilotage de l’innovation et de la recherche appliquée dans les entreprises agricoles demeurent, malgré ses évolutions, le fruit de l’histoire alors que de nombreux enjeux s’accumulent.

Dans ce contexte, l’Académie d’agriculture de France, via les travaux d’un Groupe de Travail dédié, a produit fin mai 2023 une note intitulée « Pour une agriculture résiliente, avec quel pilotage et quels accompagnements ? » que nous présente Jean-Marie SERONIE, agro-économiste et secrétaire de la section 10 « Economie et politique » de l’Académie.

1/ Malgré de nombreux textes, sommes-nous toujours en fait dans une situation héritée des années soixante ?

L’organisation actuelle du développement agricole s’est construite dans les années 1950-1960 autour d’un pivot départemental. Les pouvoirs publics avaient désigné un acteur principal, la chambre d’agriculture, qui devait créer un service d’utilité agricole et de développement et un établissement départemental d’élevage. Cette organisation était chargée de moderniser l’agriculture. Elle disposait de financements publics qui lui permettaient de recruter des conseillers. En même temps c’était un lieu, une instance de concertation où se retrouvaient la plupart des parties prenantes de l’agriculture départementale. Dans un cadre fixé par le ministère de l’Agriculture s’y élaboraient les stratégies territoriales de développement agricole.

Depuis la situation socio-économique du conseil a beaucoup changé mais le mode de financement et l’organisation n’ont pas beaucoup bougé. Petit à petit les distributeurs agricoles (coopératives et négoces) ont investi le champ du conseil technique et de l’accompagnement dans les filières de production, des organisations de conseil privé comme les centres de gestion, des associations d’agriculteurs de type CETA, des conseillers indépendants ont pris de plus en plus d’importance sur le terrain au détriment des chambres d’agriculture. En particulier ces nouveaux acteurs se sont adaptés beaucoup plus vite que les organismes administratifs s’agissant des problématiques nouvelles comme l’agroécologie, l’agriculture de conservation des sols et les crédits carbone. Depuis peu les entreprises agro-industrielles, voire la grande distribution, s’intéressent de plus en plus à l’accompagnement directement dans les exploitations agricoles notamment pour maîtriser leur propre bilan carbone.

Cela conduit à une perte de visibilité pour les agriculteurs, à des distorsions de concurrence car les fonds publics restent ciblés principalement sur les chambres d’agriculture mais surtout il n’y a pratiquement plus de coordination pour conduire des plans d’action concertés de déploiement sur les territoires.

 

2/ A l’heure du passage des obligations de moyens à celle d’obligations de résultats, avons-nous les indicateurs adéquats afin d’exercer un pilotage ?

On ne peut piloter sans indicateur pertinent de suivi. L’agriculteur dispose aujourd’hui de résultats comptables assez efficaces pour l’action s’il fait établir des marges par atelier, calculer des coûts de production et des comptes prévisionnels.  Il a beaucoup moins d’outils de pilotage s’il se contente d’un compte global lui permettant uniquement de se libérer de ses obligations fiscales. Il dispose également de ses propres indicateurs technico-économiques et environnementaux s’il décide, de sa propre initiative, de réaliser ces suivis par exemple avec analyse de sol, bilan carbone… Mais ces indicateurs ne sont actuellement pas normés. Ils ne permettent donc pas de comparaison facile entre agriculteurs et encore moins d’avoir une vision au niveau d’un territoire.

C’est pour cela que nous proposons d’instaurer non pas une comptabilité environnementale dont la construction des méthodologies mettra encore des années, et elles risquent d’être très lourdes, mais une annexe obligatoire dans les documents comptables présentant des indicateurs environnementaux. Pour être pragmatique ces indicateurs ne devront pas nécessiter trop d’enregistrements spécifiques. L’utilisation des données de la comptabilité avec des coefficients techniques (par exemple la consommation de carburant ou d’électricité traduite en équivalent CO2), de la déclaration PAC pourrait permettre d’établir quelques indicateurs très significatifs. Ceux-ci permettraient à l’agriculteur un pilotage en suivant l’évolution de ces indicateurs et en les comparant à des groupes d’exploitations équivalentes par système de production. En s’additionnant au niveau d’un territoire cela permettrait également un meilleur pilotage de l’action publique.

 

3/ Quel visage demain pour une organisation du conseil agricole adaptée aux transitions et aux besoins des agriculteurs ?

Notre proposition s’articule autour de trois idées fortes.

Il nous semble qu’il faut aujourd’hui reconnaître la diversité croissante des organismes de conseil aux agriculteurs, admettre que ces nouveaux acteurs sont pour la plupart performants et que leur nombre va encore augmenter. Il convient alors de donner aux agriculteurs la possibilité de choisir eux-mêmes, librement, leur partenaire- conseil sans pénalisation économique. C’est pour cela que nous proposons que les fonds publics affectés au développement de l’accompagnement des agriculteurs, que ce soit en groupe ou individuellement, soient versés directement aux agriculteurs sur présentation d’un justificatif et non pas aux organismes. Cette forme de soutien pourrait se faire sous la forme d’un chèque conseil ou d’un crédit d’impôt.

Il convient de garantir l’indépendance et la qualité du conseil. Pour cela nous proposons que le Conseil ne soit plus lié à la vente de produits, de services réglementés, ou par des organismes soutenus financièrement. Pour autant il ne nous semble pas souhaitable de couper le pont entre les coopératives, les centres de gestion, les chambres et les activités de conseil. C’est pour ça que nous proposons que ces organismes puissent librement développer toutes sortes de conseils, mais dans des filiales dédiées, autonomes techniquement et financièrement, dotées d’une organisation, de méthodes, d’un management, d’outils adaptés aux activités de conseil. Ces organismes pourraient détenir la totalité ou une partie du capital de ces nouvelles sociétés de conseil.

Pour garantir la qualité des services il y aurait une double habilitation des conseillers et des structures avec audit régulier tous les trois ans par exemple (1).

Il faut enfin construire au niveau des territoires une coordination, une coopération entre ces organismes mais aussi entre ces organismes et les centres de formation ou de recherche. On pourrait ainsi imaginer des sortes de conseils territoriaux de l’agriculture, peut-être dans une mission modernisée des chambres d’agriculture, des formes de living Lab.

Le ministère de l’Agriculture avait imaginé dans les années 60 une organisation de conseil qui s’est avérée performante pour développer quantitativement la production agricole. Aujourd’hui cette organisation s’essouffle. Il convient d’imaginer une nouvelle logique adaptée aux enjeux de l’agroécologie et de l’adaptation au changement climatique.

 


(1)Voir également « Bilan de la séparation des activités de vente et de conseil des produits phytopharmaceutiques », Communication du 12 juillet 2023 du Groupe de Travail issu de la Commission des Affaires Economiques de l’Assemblée Nationale, Rapporteurs Dominique POTIER et Stéphane TRAVERT.