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Temps de lecture : 4 min

08/03/2024

Etiquetage alimentaire : le steak monte au filet

Le match est relancé. L’utilisation de dénominations désignant des produits d’origine animale et les denrées alimentaires qui en sont issues, afin de décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées à base de protéines végétales, fabriquées en France, va une nouvelle fois être interdite selon un nouveau décret du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire du 26 février 2024. Alors, jeu, set et match pour la protection du steak et du jambon ? Ou retour à venir du fond de cour (européenne) ?

Pour rappel juridique, l’article L. 412-10 du Code de la consommation prévoit, depuis la loi du 10 juin 2020 concernant la transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires, une interdiction de principe d’utiliser des dénominations de denrées d’origine animale pour commercialiser des denrées comportant des protéines végétales. À charge cependant à un décret d’application de fixer la part de protéines végétales au-delà de laquelle la dénomination n’est pas possible, une teneur maximale de protéines végétales peut donc être acceptée dans des produits définis.

Le décret n° 2022-947 du 29 juin 2022[1] s’était donc employé à lister les dénominations de denrées d’origine animale pouvant contenir des protéines végétales, avec le seuil maximal en protéines végétales[2]. Cette liste énumérée en annexe du décret, particulièrement raffinée, était longue de 9 pages et demie et s’appuyait essentiellement sur des dénominations issues de codes des usages (charcuterie-salaison) ou d’un code de bonnes pratiques (volaille). Saisi en référé, le Conseil d’État avait le 27 juillet 2022 suspendu l’exécution de ce décret notamment au motif que la liste en question s’appuyait sur la terminologie professionnelle des métiers et des usages commerciaux.

Après notification à la Commission européenne en 2023, le ministère de l’Agriculture vient donc, en pleine période du Salon de l’agriculture, de publier un nouveau décret le 27 février 2024 se substituant au précédent qui est abrogé. La différence essentielle provient des annexes du nouveau texte. Désormais il existe, d’une part, une annexe I listant 21 termes protégés, excluant toute protéine végétale. Cela va du filet au steak, en passant par la longe et le travers, pour arriver au jambon. D’autre part, s’ajoute une annexe II alphabétique, réduite à 3 pages, allant de l’andouille à la viennoise de volaille (les œufs sous toute forme et l’omelette s’ajoutent aux produits carnés). Ce texte sera applicable au 1er mai 2024, et les denrées déjà fabriquées ou étiquetées en France seront commercialisables jusqu’à un an après la publication du décret. Les produits identiques provenant d’autres pays de l’Union ou de pays tiers demeurent toutefois librement commercialisables conformément aux règles du marché intérieur communautaire.

Le débat juridique est-il clos ? Non, il pourrait y avoir des recours tant en France, dont la jurisprudence s’est étoffée[3], qu’au niveau de la Cour de justice de l’Union européenne.

Par ailleurs, il n’échappe à personne que ce débat porte une dimension politique, qu’il entraîne des conséquences économiques (seules les entreprises opérant en France sont concernées, les importations seront mises en valeur faute de texte communautaire) et qu’il participe à un choix de politique publique.

Sur ce dernier plan, le dernier rapport du Haut conseil pour le climat « Accélérer la transition climatique avec un système alimentaire, bas-carbone, résilient et juste » mérite attention. Notre système alimentaire représente 22 % de l’empreinte carbone globale de la France (soit toutes les composantes du système alimentaire comprises – dont un poids majoritaire de la part animale dans les productions agricoles – ainsi que les émissions importées). Les vecteurs d’évolution y sont cités, par exemple pour la partie production le renforcement de la recherche et de l’innovation, dans un cadre de complémentarité cultures-élevage.

C’est cela l’essentiel, la trajectoire alimentaire flexitarienne[4] s’impose, et nous devons nous en emparer, mais certainement pas par le biais d’une concurrence entre végétal et animal où le juge serait appelé en permanence à décider si elle est loyale ou déloyale, selon l’inventivité du marketing.

À chaque offre, végétale ou animale, de mettre en valeur ses propres qualités, sans en rechercher l’attribution chez le voisin. Des leviers antagonistes ne faciliteraient pas l’atteinte d’une trajectoire collective assumée qui est pourtant de l’intérêt global de l’agriculture. Il faudrait apprendre à jouer en double.

 


[1] Décret n° 2022-947 du 29 juin 2022, JORF du 30 juin 2022.

[2] Yves Le Morvan, « Foin des saucisses végétales ? », Agridées, 20 juillet 2022.

[3] Cf. Sylvie Lebreton-Derrien, « Focus sur le steak végétal. Un épilogue gouvernemental et judiciaire en demi-teinte », Edito, Quinzomadaire #5, Agridroit/LexisNexis, 1er mars 2024.

[4] Note Bleue « Flexitarisme : une opportunité pour la chaîne alimentaire», Yves Le Morvan et Bernard Valluis, Agridées, octobre 2020.