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3 questions à

Temps de lecture : 3 min

31/05/2024

Julien Saludas, Chief of Staff de Toopi Organics

Cette startup française née en 2019 près de Bordeaux emploie aujourd’hui 38 personnes. Elle se qualifie de “première usine au monde dédiée à la fermentation de l’urine humaine” pour produire des biostimulants à usage agricole dans une logique territoriale. Julien Saludas, Chief of Staff, répond à nos questions.

1/ Pourquoi valoriser l’urine humaine pour des usages agricoles ?

En Europe, 6 000 milliards de litres d’eau potable sont souillés chaque année par 200 milliards de litres d’urine. Cela représente jusqu’à 25% de notre consommation en eau potable domestique ! Dans les pays développés, ces urines sont usuellement mélangées aux eaux usées dont la gestion ne permet qu’un faible recyclage et entraîne de nombreux impacts environnementaux. Pourtant, 50 à 80% des nutriments essentiels à la vie que l’on retrouve dans ces eaux usées proviennent des urines : azote, phosphore et également potassium. Une étude américaine récente a d’ailleurs démontré que les stations d’épuration rejetaient l’équivalent de 50% du besoin européen en azote dans les eaux côtières mondiales !

Depuis le XXe siècle, une part croissante de l’azote utilisé en agriculture provient de l’azote atmosphérique fixé par le procédé Haber-Bosch. Cette réaction nécessite une quantité substantielle d’énergie et représente 1 à 2 % de la consommation mondiale totale d’énergie actuelle. En outre, les engrais à base de phosphore et de potassium sont des ressources fossiles extraites de mines inégalement réparties géographiquement, ce qui présente des risques pour la sécurité et la résilience alimentaire de la ferme France.

Les nutriments extraits des sols pour produire notre nourriture ne retournent donc pas aux sols, car les lieux de production et de consommation sont déconnectés. Les sols agricoles s’appauvrissent car les nutriments des excréments humains finissent dans les égouts et les stations d’épuration. Il est donc fondamental de boucler le cycle des nutriments et cela passe notamment par la récupération à la source des urines, travail qu’entreprend Toopi Organics depuis maintenant 5 ans.

A côté de cette rupture métabolique “chimique”, la gestion linéaire de nos excreta est responsable d’une autre déconnexion “microbiologique”. En effet, nos propres excreta sont vecteurs de microorganismes bénéfiques pour la santé vu leur influence sur notre métabolisme et notre système immunitaire. Menacés par notre sédentarité et nos modes d’alimentation, ces microorganismes sont en véritable voie d’extinction et l’absence de circularisation de nos excreta entraine donc mécaniquement une rupture de boucle microbienne entre l’homme, le sol et la plante préjudiciable à l’approche “One Health”.

 

2/ Quelles innovations Toopi Organics a-t-elle mis en place pour produire des biostimulants à partir de l’urine humaine ?

Toopi Organics a été créée en 2019 pour répondre à ces principaux enjeux planétaires avec pour mission de sortir l’urine du cycle de l’eau. Il existe de nombreuses technologies de valorisation des urines en agriculture. L’objectif poursuivi étant de pouvoir extraire les nutriments, principalement l’azote et le phosphore ou bien de concentrer l’urine en éliminant l’eau par divers procédés physico-chimiques. La difficulté rencontrée réside dans les coûts associés à ces installations, et en particulier à l’énergie consommée par unité fertilisante recyclée. Aujourd’hui, un engrais issu de ces technologies ne peut pas être proposé à un prix supportable pour un agriculteur.

Toopi a donc développé une technologie brevetée permettant de valoriser l’urine humaine en agriculture avec un potentiel duplicable à d’autres industries. L’urine est utilisée par Toopi Organics comme une source de composés nutritifs bénéfiques aux microorganismes grâce à une technologie de transformation par fermentation. Matière première de fermentation extrêmement attrayante en termes de polyvalence et de coût, l’urine sert ainsi à produire de la biomasse microbienne et des actifs utiles aux plantes. Avec les tendances actuelles et à long terme en matière d’énergie et de bioressources, l’écart entre la valeur négative de l’urine en tant que déchet et sa valeur positive en tant que produit de fermentation est significatif, bien plus qu’en simple utilisation en tant qu’engrais.

Notre premier produit issu de cette technologie est Lactopi Start. C’est une préparation microbienne à usage biostimulant à base de bactéries lactiques. Ces micro-organismes produisent des substances organiques qui favorisent la croissance des plantes et le développement de leur système racinaire pour mieux capter l’eau et les nutriments du sol. Cela aide les cultures à gagner en résilience et en efficience pour pallier aux différents stress qu’elles rencontrent.

Nous lançons en 2025 une nouvelle formulation, Lactipi Plus, issue de la même technologie mais 100 fois plus concentrée pour un usage plus souple et une dose d’utilisation plus adaptée au marché des grandes cultures.

 

3/ Sur quelles cultures ces biostimulants sont-ils efficaces ? Sont-ils déjà commercialisés et à quelle échelle territoriale ?

Les produits ont obtenu des autorisations de mise sur le marché dans 8 pays Européens, dont la France, et ils sont utilisables en agriculture biologique. Plus d’une centaine d’essais ont été menés dans différents pays et nous bénéficions depuis 2 ans de retours d’expérience d’agriculteurs pour affiner et valider le positionnement technique. En Europe, nous ciblons majoritairement les cultures de printemps ainsi que le colza. Nous avons aussi quelques positionnements en vigne et en arboriculture avec des agriculteurs qui adhèrent au concept général d’économie circulaire et à la pertinence d’utiliser l’urine pour produire des intrants efficaces, écologiques et locaux.

Nous projetons un nouveau modèle économique territorialisé. Notre volonté est de pouvoir valoriser les urines d’une métropole, par exemple pour produire dans une unité locale en partenariat avec des organismes économiques agricoles. Cela est en train de se concrétiser en Belgique et nous souhaitons développer ce modèle en France et sur d’autres continents tels que l’Afrique, où les enjeux d’assainissement et agricoles sont colossaux.

Par la création d’unités de biotechnologie territoriale alimentées par les urines comme source d’eau et de nutriments, nous pensons contribuer à un nouveau modèle décentralisé pour la production d’actifs agricoles et plus largement industriels afin de gagner en souveraineté. C’est ainsi que l’on pourra prétendre au bouclage des cycles des nutriments et par la même occasion à reconnecter nos microbiotes.