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3 questions à

Temps de lecture : 4 min

23/02/2023

Caroline Bailly

Le 1er janvier 2023 est entrée en vigueur en Europe la Directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive – Directive européenne sur le reporting de durabilité des entreprises). La France a prévu de la transcrire en droit national d’ici la fin 2023 sans surtransposition. Cette réglementation vient compléter un arsenal juridique qui s’est fortement durci ces cinq dernières années et qui a vocation à provoquer une véritable révolution dans la conduite des affaires des entreprises vers une réelle durabilité : passer du simple déclaratif à la démonstration de la preuve impliquant toute la chaine de valeur. Au-delà des obligations induites, comment les secteurs agroalimentaires et agricoles peuvent-il anticiper pour en faire une opportunité de transformation ?

Explications par Caroline Bailly, experte RSE et reporting extra financier chez Endrix[1]

1/ Comment a évolué le droit européen en matière de prise en compte des enjeux de durabilité pour les entreprises ? Peut-on parler d’une grande accélération ?

Les préoccupations environnementales et socio-économiques présentes depuis plusieurs décennies en Europe ont préparé les bases d’une nouvelle conception des rapports entreprise-société en mettant l’accent sur les questions de la durabilité (ou soutenabilité) de l’activité économique. La France a été en avance pour certaines réglementations en matière de transparence et de publications d’informations sociales et environnementales – dès 2001 avec la loi Nouvelles Régulations Economiques (NRE) puis avec la loi Grenelle II en 2010. La transposition de la directive européenne NFRD (Non Financial Reporting Directive ou Directive sur le Reporting extra financier) en 2017 dans la loi française a donné lieu à de nouvelles avancées en matière de publication d’informations, la Déclaration de Performance Extra-Financière pour les grandes entreprises. Force est néanmoins de constater que la robustesse des informations communiquées et leur comparabilité est insuffisante pour permettre une mise sous tension des acteurs sur ces sujets et une réorientation effective de leurs pratiques. Face à la dégradation des ressources environnementales et humaines et au dépassement de certains seuils biophysiques planétaires, les attentes de la société vis-à-vis des entreprises sont plus fortes. Après deux décennies de posture mitigée de la France et de l’Europe évoluant entre l’encouragement des entreprises à prendre des mesures volontaires et la mise en place de quelques dispositions réglementaires, l’arsenal juridique s’agrandit depuis quelques années. Il s’impose aujourd’hui à un panel d’entreprises toujours plus large et non plus seulement aux grandes entreprises. Du fait des objectifs définis dans le Pacte vert européen, toute entreprise sera bientôt sujette à des politiques publiques et à des réglementations en matière sociale et environnementale soit directement soit indirectement via les obligations qui incombent à leur donneur d’ordre/client.

 

2/ Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Le véritable enjeu derrière ces dispositifs réglementaires est de faire évoluer les modèles économiques des entreprises. La réglementation est un levier qui oblige à de la transparence sur un certain nombre de sujets sociaux et environnementaux. Elle permet donc aux parties prenantes de l’entreprise, que ce soit les acteurs de sa chaine de valeur ou plus largement le marché, d’avoir accès à des informations et de prendre des décisions en conséquence. L’objectif est donc que les informations communiquées par les entreprises soient le plus fiables et comparables possibles afin qu’elles deviennent le terreau de décisions réfléchies et permettent aux financiers – investisseurs et financeurs – d’orienter leur stratégie de financement vers des activités moins impactantes. Cette transparence est aujourd’hui clamée par la société civile ; elle n’est pas sans générer des tensions au niveau des entreprises, certaines ONG étant de plus en plus actives pour utiliser ces informations.

En 2022, la mise en place de la taxonomie européenne qui soumet les grandes entreprises à publier la part de leur activités « vertes » a été une avancée pour constater, avec des indicateurs simples et identiques, l’orientation des entreprises vers des activités soutenables. La CSRD en cours de légifération par la commission européenne, est une nouvelle étape : le rapport de durabilité qui en résultera, demandera la publication de plus d’informations sociales et environnementales et des indicateurs obligatoires. Le nombre d’entreprises qui y sera soumise passera à près de 50 000. Mais c’est surtout l’obligation pour ces entreprises de communiquer des informations relatives à leur chaine de valeur qui aura le plus d’impact : elles devront alors s’assurer que leurs clients ou leurs fournisseurs leur transmettent les informations nécessaires pour pouvoir remplir leurs obligations. Petit à petit, l’ensemble des acteurs de la chaine sera entrainé à plus de transparence.

 

3/ En quoi les secteurs agroalimentaires et agricoles sont-ils impactés ?

Derrière ces réglementations et ces enjeux de publication d’informations, se cache la vraie problématique à aborder : comment les entreprises vont gérer leur transition vers un modèle économique durable ? Le secteur agri-agro fait face à des politiques publiques et aux attentes de consommateurs qui évoluent : il doit à la fois répondre à des besoins alimentaires croissants, à la sécurité alimentaire des territoires et produire des aliments qui garantissent la santé tout en préservant les ressources naturelles, les sols et la biodiversité. Face à cette nouvelle donne, les pratiques doivent évoluer et se réorienter.

La CSRD demande la prise en compte de la chaine de valeur ; cette exigence permet aux entreprises de mieux comprendre leur écosystème et de le prendre en compte différemment. Car la durabilité n’est pas simplement le sujet de l’entreprise, c’est un sujet collectif de l’entreprise avec ses partenaires, en amont et en aval, sur la manière de produire et de vivre décemment de sa production, d’utiliser les ressources tout en les préservant sur le long terme.

Les réglementations telle la CSRD ou la taxonomie deviennent alors une opportunité pour encadrer l’évolution des pratiques : elles obligent les entreprises à se questionner sur leur modèle économique et donnent un cadre sur les sujets à travailler et les objectifs à atteindre. C’est l’opportunité pour le chef d’entreprise d’avoir de nouveaux outils de pilotage à sa disposition pour questionner sa stratégie. Nous voyons déjà clairement l’impact positif de la réglementation sur d’autres secteurs d’activité : les objectifs de décarbonation du secteur de l’industrie obligent nombre d’entreprises à questionner leur modèle économique et à faire évoluer leurs approvisionnements ou leurs processus de production. Il n’est plus question de prendre des décisions seulement à l’aune de critères financiers d’investissement et de rentabilité mais de prendre en compte de nouveaux critères tels l’impact carbone des processus ou le vrai coût et impact environnemental des matières utilisées. Ces réflexions sont des étapes nécessaires pour se mettre en ordre de marche vers un modèle économique plus soutenable pour nous tous.

Dans les chaines de valeur des entreprises agroalimentaires, la production agricole en amont concentre la grande majorité des impacts environnementaux. Les entreprises agricoles, en tant que fournisseurs, vont devoir mesurer et démontrer leurs impacts. Au-delà de rendre compte, cela peut constituer des outils de pilotage au service des dirigeants et être un premier pas pour la mise en œuvre d’une stratégie de durabilité sur le long terme. Des outils sont disponibles gratuitement pour aider à cette mise en réflexion : diagnostic agro-écologique, bilan de gaz à effet de serre… qui peuvent d’ores et déjà être déployés et permettent de mieux cerner les premières actions qui pourraient être mises en œuvre par les entreprises du secteur agro pour anticiper les réglementations à venir.

 

[1] Endrix est un cabinet d’expertise comptable avec une forte spécialisation en Responsabilité Sociale des Entreprises.