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3 questions à

Temps de lecture : 4 min

10/02/2023

Grégoire Decamps

Comme tous les secteurs d’activité, l’industrie agroalimentaire est confrontée à divers enjeux de durabilité. La question de l’optimisation des ressources qu’elle utilise (énergies, eau, matières premières agricoles, etc.) la pousse à repenser ses process de production voire ses modèles économiques.  Des acteurs comme Véolia, spécialiste mondial des solutions environnementales sont de véritables partenaires du secteur agroalimentaire pour créer de nouvelles sources de création de valeurs. Eclairages par Grégoire Decamps, Responsable Industrie Agroalimentaire Europe chez VEOLIA Water Technologies and Solutions.

1/ Quels sont selon vous les enjeux environnementaux des industriels de l’agroalimentaire ?

L’équation alimentaire est complexe. D’un côté, la chaîne de valeur agricole devra permettre de nourrir une population mondiale dont les besoins augmenteront de plus de 50% d’ici 2050. De l’autre côté, étant au cœur du vivant, elle se doit d’être plus sobre et de relever le triple défi de réduction de ses empreintes eau, énergie et carbone.

Car sans eau pas d’agriculture ni d’industrie agroalimentaire (IAA). Cette dernière consomme beaucoup d’eau en tant qu’ingrédient, vecteur énergétique (vapeur) mais aussi en tant que vecteur d’hygiène dans le lavage des lignes de process afin d’éviter toute contamination microbiologique ou chimique des aliments.

L’énergie est également un consommable important dans la filière. Dans l’agriculture, la hausse du prix du gaz a notamment impacté le prix des engrais azotés pour ne citer qu’un exemple. Quant à l’IAA, elle consomme aussi bien de la thermie (hygiénisation, cuisson, concentration et séchage) – d’ailleurs souvent corrélée à la consommation d’eau – que de l’électricité pour convoyer ou purifier les aliments. Certains sites agroalimentaires ont d’ailleurs réduit la cadence voire fermé ces derniers mois pour cette raison de coûts énergétiques exponentiels.

Enfin, concernant le carbone, la chaîne de valeur agricole est responsable approximativement d’un quart des émissions mondiales de GES, imputables d’une part aux industriels (voir ci-dessus leurs consommations en énergie, qui correspondent à leurs scopes d’émissions 1 et 2), et d’autre part et principalement à l’amont agricole (scope 3), provenant de l’élevage de ruminants (émissions de CH4) et de la fertilisation des grandes cultures (émissions de N2O) en majorité, et enfin l’érosion des sols et la perte associée de matière organique.

 

2/ Quelles sont les solutions pour accompagner cette transformation ?

Les trois défis présentés ci-dessus étant interconnectés, une réponse systémique est incontournable. Un système agricole circulaire doit être envisagé, transformant les déchets et sous-produits en ressources, et ayant le double avantage de moins prélever dans la nature et de moins rejeter dans l’environnement. Des solutions concrètes existent déjà, et VEOLIA fait partie des entreprises pouvant accompagner la filière dans cette transformation écologique, proposant une offre intégrée EAU- ENERGIE – DECHETS.

Expert du cycle de l’eau, nous accompagnons les acteurs de la filière dans la réutilisation et le recyclage des eaux usées traitées, chez l’industriel lui-même, ou vers les champs environnants. Ces technologies peuvent également régénérer des produits chimiques à partir des eaux usées, ou même générer des économies substantielles d’énergie, comme lors du recyclage de condensats contenant des calories. Par exemple, chez un producteur laitier dans l’Ouest de la France, nous recyclons après traitement 600 m3/ jour d’eau sortie station d’épuration vers les tours de refroidissement du site, soit une économie d’eau équivalente à 60 piscines olympiques par an.  Un autre exemple de réutilisation en agriculture est le projet SmartFertiReuse, porté par SEDE, filiale de Veolia, dans le sud-ouest, où les eaux usées traitées sont réutilisées en ferti-irrigation de céréales, avec le double intérêt d’irriguer et d’apporter des nutriments contenus dans les eaux usées comme l’azote, le phosphore ou encore le potassium.

Nous accompagnons également la filière sur les enjeux énergétiques. D’abord en incitant les IAA à privilégier les technologies membranaires à celles thermiques, pour concentrer et purifier les produits et ingrédients, d’autant plus dans des pays comme la France dont le mix électrique est peu carboné. Ensuite en méthanisant les effluents et les sous-produits organiques permettant de produire du biogaz. Dans une entreprise spécialiste du fruit dans le sud de la France, nous produisons par exemple à partir des effluents chargés en matière organique, 8,5 gigawatts-heure (GWh) par an de biométhane, injecté dans le réseau de distribution de gaz GrDF, soit la consommation moyenne en gaz de 800 foyers.

Concernant les déchets, Veolia est un acteur de la valorisation des biodéchets, qui une fois compostés peuvent être retournés au sol, permettant d’améliorer sa fertilité, et sa capacité à retenir l’eau, l’azote et le phosphore. Cette fertilisation “naturelle” permet aussi de limiter le recours aux engrais chimiques et d’augmenter la biodiversité également essentielle à une agriculture pérenne et résiliente. Enfin, cet amendement permet de séquestrer du carbone, participant donc à solutionner le troisième grand défi de la chaine de valeur agricole. Nos sols contiennent 2 à 3 fois plus de carbone que l’atmosphère et constituent un précieux puits naturel de carbone pour lutter plus largement contre la crise climatique. SEDE est d’ailleurs membre de l’initiative 4 pour 1000, initiative mondiale qui fédère les acteurs pour lancer des actions concrètes sur le stockage du carbone dans les sols.

 

3/ Etes-vous optimistes pour l’avenir – le système agricole parviendra-t-il à atteindre la neutralité carbone ?

Soyons optimistes pour l’avenir, car c’est à nous de l’inventer ! Les exemples technologiques cités ci-dessus nous donnent de l’espoir mais elles ne suffiront pas. Ainsi, Veolia s’intéresse également aux solutions de demain pour aller plus loin dans la réduction de l’empreinte environnementale de la chaîne de valeur agricole.

Les co-produits organiques peuvent également être valorisés dans l’alimentation des insectes, ces derniers étant une source d’alternatives protéiques bas carbone. En France et en Malaisie, Veolia élève des larves de mouche sur des co-produits de l’industrie agroalimentaire avant de les transformer en farine et en huile pour l’alimentation animale (aquaculture, porcs et volaille) et des animaux de compagnie. La généralisation de ce type de procédés permettrait de réduire considérablement l’espace consacré à l’élevage et aux cultures destinées à l’alimentation animale. Il ne faut qu’un peu plus de 2 kg de fourrage pour produire 1 kg d’insectes, alors qu’il en faut 25 pour obtenir autant de bœuf. Et pour boucler la boucle, le “frass” (déjections des larves et restes du substrat) est utilisé pour la production d’engrais.

Je pourrais citer d’autres développements technologiques en cours. Le plus gros challenge n’est pas technologique mais le passage à l’échelle et la vitesse de déploiement de ces technologies. En effet, la situation est urgente, or le déploiement de ces solutions à grande échelle est souvent trop lent.

Le premier frein est d’ordre socio-culturel. Nous pouvons citer les changements de pratiques culturales transmises par les ainés, comme le labour ou les méthodes de fertilisation. Aussi, un changement de perception par rapport aux déchets organiques doit s’opérer, pour une meilleure acceptation publique de leur valeur et des potentielles externalités négatives comme par exemple les mauvaises odeurs lors du transport et l’épandage.

Le deuxième est d’ordre réglementaire et sanitaire, avec par exemple la limitation de certains recyclages d’eaux usées dans l’industrie agroalimentaire. Pourtant, les technologies permettent de contrôler la qualité des effluents et déchets recyclés et ainsi éviter tout risque sanitaire. En France, le dispositif “France expérimentation” permet de lever certains de ces blocages juridiques en permettant de tester des pilotes sur le terrain.

Enfin, des freins économiques persistent. Si les alternatives énergétiques comme le biogaz sont de plus en plus rentables du fait des coûts actuels de l’énergie fossile et les aides énergétiques disponibles (Certificat d’Economie d’Energie en France, etc.), il n’en est pas de même pour les économies en eau. En effet, malgré les augmentations de prix de ces derniers mois en France, elle reste relativement peu chère pour que son recyclage soit rentable dans la plupart des pays européens. D’autant plus que le contexte inflationniste actuel incite les industriels à chercher des économies à court terme.

Pour les agriculteurs, les bénéfices économiques des amendements organiques sur la fertilité des sols sont en général visibles après quelques années de pratiques. Aussi, les services écosystémiques comme l’augmentation de la biodiversité et le stockage de carbone, apportant un service à l’ensemble de la société doivent être mieux rémunérés. Par exemple, une prime de 35€ / tonne de carbone stockée (potentiel en moyenne de 1 t/ha pour les grandes cultures après la mise en place de pratiques d’agriculture régénérative) n’est pas suffisante pour rendre les changements de pratique attractifs. Davantage d’accompagnement est donc nécessaire. C’est le rôle des politiques publiques et de la “finance verte”, d’accompagner les agriculteurs dans cette transformation, mais également de l’industrie agroalimentaire, qui se doit de réduire son scope d’émissions 3, c’est-à-dire ses émissions indirectes liées à l’amont agricole.