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3 questions à

Temps de lecture : 3 min

10/01/2023

Yves Madre

Le think tank Farm Europe, créé en 2015, s’est imposé à Bruxelles comme un lieu de proposition et de réflexion référent sur les questions de politique agricole et alimentaire.

Yves MADRE, fondateur et dirigeant du think tank répond à nos questions.

1/ Nouvelle année, nouvelle PAC, quels en sont les changements essentiels face aux enjeux actuels ?

Nouvelle année certes, et on se doit de souhaiter une année plus prospère et plus apaisée, une année où seront reconnues leurs lettres de noblesse aux agriculteurs de l’Union Européenne. Nouvelle PAC ? Administrativement oui, une nouvelle PAC est entrée en fonction au 1er janvier 2023 avec son cortège d’éléments nouveaux auxquels les agriculteurs devront se conformer. Mais est-ce une nouvelle politique ?

Cette réforme a été engagée en 2018 sur une proposition de modification avant tout organisationnelle de répartition de la gestion de la PAC entre la Commission et les Etats membres : plus de flexibilités nationales (avec des garde-fous insérés par le Parlement européen pour éviter que cette flexibilité ne devienne une renationalisation avec 27 PAC différentes dans un marché commun qui n’en aurait plus que le nom), et l’espoir de moins de bureaucratie et moins de contrôles caressé par certains Etats membres. A cet égard, la vigilance reste de mise car la réalité qui se profile semble assez éloignée des espoirs de simplification.

Sur le fond, dans cette PAC ajustée plus que refondée, c’est avant tout le volet vert qui connait des changements : les mesures de verdissement sont passées à la conditionnalité – d’incitation rémunérée à obligation -, et les éco-régimes font leur apparition en exigences supplémentaires environnementales pour continuer à bénéficier de 30% des aides directes. Quant aux autres composantes de la PAC, la pertinence de cette politique sera largement dépendante des choix que chaque pays fait à travers son plan stratégique national : protection contre les aléas climatiques, priorité donnée aux investissements assurant rentabilité et durabilité, formation des agriculteurs, équilibre économique, renouvellement des générations.

Cette PAC peut paraître une PAC – courte – de transition, voire une prolongation de la PAC précédente. Mais, que l’on ne s’y trompe pas, la façon dont elle sera pratiquée conditionnera largement la capacité des agricultures européennes à continuer à répondre à notre sécurité alimentaire et à être des acteurs indispensables d’un équilibre géopolitique mondial, faute de quoi l’Union Européenne risquerait de décrocher du peloton des grands décideurs mondiaux.

 

2/ Dans un environnement qui pourrait favoriser le pessimisme, quels sont les sujets porteurs d’espoir travaillés à Bruxelles en 2023 ?

Il serait important que 2023 soit l’année où le sujet de la sécurité alimentaire et de l’importance stratégique de notre agriculture percole dans les décisions et orientations prises au niveau européen. Avec la crise de la Covid 19, et encore plus du fait de la guerre en Ukraine, les discours des responsables européens se sont emplis de ces notions. Désormais il est capital que cela devienne réalité. Or, pour l’heure, la Commission européenne n’a aucunement infléchi ses propositions initiales de mise en œuvre du Green Deal, qui datent. Elle poursuit un chemin qui mène selon nous à la décroissance agricole, sans bénéfice réel pour l’environnement. Le point d’arrivée – une agriculture européenne neutre en carbone – ne fait pas débat. Il nous faut y arriver. Mais pour cela, sans sacrifier l’agriculture ni la sécurité alimentaire, le chemin préconisé par la Commission doit être revu en sortant de l’incantation, du positionnement politicien. Il s’agirait de construire avec les agriculteurs cette transition, qui se doit d’être bénéfique économiquement, positive pour l’environnement de notre planète, et socialement acceptable.

La voie existe, pragmatique et ambitieuse. Nous l’avons définie et travaillée depuis 2019. Le service de recherche de la Commission dans son analyse de ce 4 janvier 2023 sur les « clés de la sécurité alimentaire » la corrobore. Elle exige de miser sur l’innovation, l’investissement et la formation. Elle suppose de reconnaître le bien-fondé de l’apport des producteurs agricoles et de les accompagner, au lieu d’afficher des cibles sans fondement et souvent à côté de l’impact recherché. A cet égard, cinq dossiers me paraissent d’importance en 2023 :

  • Celui de la révision des perspectives financières 2021-27 de l’UE, car on ne peut pas demander plus ou même autant aux agriculteurs avec une PAC dont l’engagement budgétaire en 2027 ne serait plus que de 2/3 de celui de 2020 sous l’effet cumulé de l’inflation et du rabotage décidé en 2019 ;
  • Celui de l’adaptation du corpus législatif aux progrès de la science en matière de sélection variétale, afin que les agriculteurs européens puissent pleinement se saisir des apports environnementaux et économiques de la mutagénèse dirigée (appelée encore nouvelles techniques de sélection variétale) ;
  • Celui du règlement sur l’usage des pesticides qui doit être reconsidéré pour bel et bien viser une orientation zéro résidus et non des coupes forfaitaires de principe qui constituent certes des affichages médiatiques mais sans fondement scientifique ;
  • Celui de l’agriculture carbone qui doit reconnaître pleinement l’effort des agriculteurs pour accroître la séquestration du carbone dans le sol et la réduction des émissions. Les deux vont de pair et doivent trouver, toutes les deux, incitations dans les politiques européennes et nationales et valorisation sur le marché carbone ;
  • Enfin, le projet de texte sur une alimentation durable attendu fin 2023 dont la logique serait de placer l’agriculture au centre du projet sociétal européen. Et non de préempter à l’avance un débat politique sur ce que l’Union Européenne attendra pour l’après 2027 de son agriculture et de sa politique agricole commune.

 

3/ Cette nouvelle PAC étant simplement quinquennale, des réflexions d’évolution ont-elles été déjà lancées ?

La nouvelle PAC à peine mise en œuvre, les regards mais également les réflexions sont déjà tournées vers l’échéance suivante. Pour l’après 2027, la Commission européenne devra publier une communication fin 2024, au plus tard début 2025, aussitôt le nouveau collège des commissaires installés à l’automne 2024. Les services doivent donc s’atteler au travail courant 2023.

Le gouvernement allemand a, quant à lui, annoncé qu’il remettra mi-2024 un document d’orientation pour une PAC post 2027 sans aides directes. Il y travaille avec des universités allemandes et étrangères.

C’est donc bien dès à présent que doivent commencer à se travailler les contours de ce que nous voulons pour 2028 et les années suivantes, afin d’être en état de dessiner et proposer la politique européenne souhaitable au Parlement européen actuel, et à celui qui sera élu au printemps 2024. Le travail se doit d’être sans œillère, étayé, précis et engageant.

 

Toutefois, ces travaux de fond ne doivent pas constituer un argument pour les décideurs politiques et économiques de reporter les décisions susvisées à prendre dès 2023.